Petite histoire de la Libération du Village de Cour

De bon matin, vers 6h, les habitants sont réveillés par des bruits insolites provenant de la rive gauche du Doubs, sur la route de PONT LES MOULINS. On a tout d’abord l’impression qu’il s’agit d’une troupe à l’arrêt. Comme la semaine précédente, les routes, toutes les routes passant par BAUME étaient utilisées par les colonnes allemandes en retraite se dirigeant vers Belfort, on supposait qu’il s’agissait là d’un convoi allemand à l’arrêt, mais bientôt, on entend des commandements en français tels que « EN AVANT » ; il n’y avait plus aucun doute possible, c’était l’ARMEE FRANCAISE tant attendue qui arrivait. Quelle joie pour tous. Bientôt, on entendit quelques coups de feu provenant de la direction du Pont. Peu après, enthousiasme de toute la population : les F.F.I. tenant le maquis depuis juin dernier défilent depuis l’usine ROPP, capitaine BESANCON en tête suivi de ses officiers dont les silhouettes sont bien connues HUMBERT, GAMET, BARBEROT, CASS MANI, PAUTOT suivis d’une centaine d’hommes les uns en capote bleue et la plupart en habits civils d’une tenue impeccable qui sont l’objet d’une ovation délirante de la part d’abord des quartiers des Cités, puis ensuite au Pont par toute la population de COUR qui s’est rendue au-devant de nos braves défenseurs.

Arrivés au Rond-Point, le dispositif de bataille est immédiatement mis en place ; les F.F.I. répartis en différentes colonnes partent à l’attaque de BAUME. Quelques instants plus tard, des coups de feu éclatent de toutes parts ; les troupes algériennes évaluées à un bataillon, suivent le mouvement. De notre village de COUR, nous n’entendons plus que la fusillade et le son très proche et, d’après les prévisions, BAUME devait être complètement délivrée pour midi.

Sur la fin de matinée, nous entendons un bruit de tonnerre provenant de la direction de Champvans et nous apprenons qu’il s’agit d’un train allemand avec son matériel et des munitions qu’un tank français placé sur la route de Mi-Cour venait de faire sauter d’une façon magistrale. Partout, on voit des drapeaux apparaître aux fenêtres d’abord un peu timidement car la crainte du Boche est si forte qu’on a peine à croire à une libération si proche. Sauf des explosions qui se produisent presque sans interruption dans le train de CHAMPVANS, on n’entend plus guère l’écho de la bataille dont le centre le plus important était la colline de CROYOT. Peu avant midi, on entend tout à coup une canonnade formidable qui nous parait être tirée de la route de BESANCON (vers la Cude Grosbois). Les obus éclatent sur la colline de CROYOT, nous nous demandons ce qui se passe. Cela dure encore vers 14h, puis nous voyons les drapeaux disparaître petit à petit des fenêtres, les visages anxieux et bientôt nous voyons les troupes algériennes descendre en toute hâte de la colline de Croyot se dirigeant vers le Doubs, direction du port aux barques du bassin de Gonde et la canonnade continue toujours.

M. Adolphe BERNASCONI demeurant à proximité, voyant ces soldats désemparés, leur donne les clefs des

3 barques amarrées au port aux barques pour qu’ils puissent passer sur la rive gauche du Doubs. Trop pressés de passer et sans directives précises, ces pauvres soldats emplissent la barque jusqu’au ras bord et comme le Doubs est en crue, les 2 premières barques sombrent presque aussitôt. MM. BABEY et BERNASCONI ont vu seulement 6 soldats sachant bien nager arriver sains et saufs de l’autre côté vers le pont du Cusancin.

Vers 15h, M. BERNASCONI voit arriver cette fois un groupe de F.F.I. de 50 à 60 hommes se sentant traqués se dirigeant vers ce même port aux barques. Devant les barques pleines d’eau, les autres algériens restent sur la rive ayant vu ce qui était arrivé à leurs camarades et renonçant à passer le Doubs s’étaient enfuis en direction des grottes de BUEN et du barrage de Lonot.

M. BERNASCONI, ayant vu auparavant le Capitaine BESANCON et 2 autres officiers et agents de liaison sur la rive gauche du Doubs et voulant surtout ne pas voir se renouveler le tragique traversé des Algériens ; voyant l’indécision des F.F.I. se munit de pinces scie et autres outils nécessaires pour couper les chaînes des barques. Mais, les barques sont pleines d’eau, il fallait d’abord les vider et, surtout, faire vite. M. BERNASCONI prit donc sur lui de diriger la manœuvre la plus expéditive pour vider les barques : après avoir coupé les chaînes les attachant au rivage et en les tirant complètement sur le terrain. M. CASSAMANI, apprenant de la bouche de M. BERNASCONI que le Capitaine BESANCON était déjà sur la rive gauche est rassuré à ce sujet ; il prend le commandement pour l’embarquement des hommes en commençant par les blessés dont plusieurs l’étaient grièvement et arrivaient soutenus par des camarades ; l’un d’eux, Albert LAURENT, amené sur une brouette par des jeunes gens de COUR (SIGUST Joseph, DUTOUR Fernand, MOUTEL François) 4 barques furent ainsi mises en service et tous les F.F.I. dont le nombre grossissait toujours purent passer sur la rive gauche du Doubs où ils retrouvaient leur Capitaine et quelques-uns de leurs camarades ayant pu passer « in extremis » par le pont.

Les derniers F.F.I., embarqués, furent Paul PONSOT, qui était allé se faire panser par Melle Emmy BERNASCONI, Jean BELLOT CASSAMANI et GAMET. Le Lieutenant GAMET fait repasser une barque sur la rive droite alors que les balles commencent à siffler, afin que le cas échéant il y ait encore une possibilité de passer pour les retardataires éventuels.

Peu après, M. BERNASCONI voit passer devant chez lui une vingtaine de personnes habitant soit BAUME, à MI-COUR ou à COUR même, se dirigeant aux grottes de BUEN pour y chercher un abri et se garer des bombardements et il apprend que plusieurs chars sont venus en renfort de BESANCON ; les troupes françaises et les F.F.I. n’ont pu les tenir en échec avec l’artillerie dont ils disposaient et avaient dû se replier. A peine camouflée, derrière l’usine ROPP, une fusillade éclate depuis CROYOT mais celle-ci cesse bientôt, personne ne répondant plus du côté français. La canonnade cesse bientôt également et les habitants de COUR ont dans la soirée l’affreuse surprise de voir arriver 2 chars Tigre et un canon antichar qui traversent tout le village et vont se placer derrière l’église et se mettent en batterie pour tirer dans la direction de l’usine ROPP. Tous les habitants du quartier et de l’usine ROPP ont abandonné leurs foyers. Melle BERNASCONI, son frère Adolphe, sa nièce, sa bonne et 2 demoiselles TRIMAILLE dont une infirme se trouvent coincés dans leur maison et ne peuvent plus rentrer à COUR pour y chercher un abri plus sûr. Vers 19h, 2 des réfugiés des grottes de BUEN veulent essayer de rentrer au village y chercher du secours pour un soldat algérien blessé qui se trouve avec eux dans les grottes mais voyant les chars et le canon anti-char, ils ne peuvent aller plus loin et retournent à leur abri (il s’agit de Henri MALTERRE et Marcel GUINCHARD).

Dès la tombée de la nuit, les chars commencent à tirer et ainsi jusqu’à 3h du matin.

Mercredi 6 septembre 1944

A cette heure, M. et Melle BERNASCONI entendent un bruit infernal et il leur semble que les chars sont partis car jusqu’au petit matin le calme est complet sauf des allées et venues autour de la maison. Aussitôt, le soleil levé, M. Adolphe BERNASCONI veut se rendre compte de la situation ; hélas, les chars sont encore là, ils n’ont fait que changer de position. La situation dans la maison isolée devient intenable surtout qu’il peut voir 2 ouvertures béantes dans la façade de l’usine ROPP et de la conciergerie.

Sa décision est vite prise ; il confectionne un drapeau blanc et part les bras levés en direction des chars allemands devant enjamber un barrage fait de 4 stères de bois placé à mi-chemin entre sa maison et les chars. Par bonheur, les Allemands ne tirent pas et le laissent arriver jusqu’à eux.

Parlant en allemand au feldwebel qui commande le 1er char, il obtient pour lui et les siens l’autorisation de venir s’abriter dans le village mais très rapidement, lui donnant seulement la garantie que lui ne tirerait pas. 1/4 heure après, les 6 occupants de la maison arrivaient au village munis seulement de vêtements chauds et de couvertures, laissant la maison entièrement ouverte. Arrivé au village, ce petit groupe est immédiatement entouré par les parents et amis des personnes réfugiées aux grottes de BUEN. Ces pauvres gens sont partis n’emportant que quelques vivres mais n’ont ni vêtements chauds, ni couvertures et il y a plusieurs enfants.

M. BERNASCONI s’offre immédiatement pour aller chercher ces malheureux et va demander l’autorisation nécessaire aux Allemands. Cette autorisation lui étant accordée, Melle EMMY part avec Madame Marcel GUINCHARD pour les chercher, naturellement à leurs risques et périls. 1 /2 heure plus tard, tous arrivent au village transis et apeurés mais heureux de se retrouver tous et chacun va dans la cave où sont ses parents ou amis ou dans les caves désignées par la Défense Passive. M. Adolphe BERNASCONI et les siens vont chercher abri dans la cave de M. Francis TRIMAILLE, boulanger épicier. D’après M. TRIMAILLE, rien de grave ne s’est passé jusque-là concernant les rapports entre la population du village et l’ennemi qui tient tout le village avec une cinquantaine d’hommes ; mais le pays est plongé dans la douleur ; un brave garçon aimé de tous F.F.I. de la 1ère heure, Louis PERNOT, grièvement blessé à Croyot a été ramené par ses camarades dont son propre frère Roger F.F.I., lui-même blessé, chez ses parents où il est mort dans la soirée après d’horribles souffrances. Depuis l’après-midi, le village étant envahi d’allemands, son père devait demander à ce brave garçon de 21 ans de réprimer ses cris de souffrance pour ne pas attirer l’attention des Allemands circulant sans arrêt dans le village. Il est mort dans la soirée en brave, en disant à son père « T’en fais pas papa, on les aura quand même. Vive la France ». C’est là le premier acte du drame vécu par ces pauvres amis PERNOT ; leur pauvre fils mort, il fallait un cercueil et l’apporter dans la maison mortuaire sans que les Allemands le voient.

Son propre frère mutilé en 1940 aidé d’un camarade d’atelier Maurice MONTAGNON confectionnent un cercueil mais ne peuvent l’assembler pour l’apporter à la maison. Il n’y a qu’une ressource, c’est de le transporter en pièces détachées mais il faut ensuite l’assembler sans coups de marteau ; enfin, c’est fait, mais les Allemands sont toujours là et il ne peut être question pour la famille de garder le corps à la maison car il y a trop de danger de représailles et la situation actuelle peut durer plusieurs jours. Le père prend alors la décision de creuser la propre tombe de son fils dans son jardin derrière la maison et il l’ensevelit dans la nuit et afin que l’ennemi ne puisse se douter de rien, il bêche tout son jardin le lendemain matin « Pauvre Petit LOUIS, Pauvres Parents »…

A midi, la situation étant calme, chacun déjeune chez soi. M. BERNASCONI et les siens ne pouvant rentrer à la maison déjeunent chez M. TRIMAILLE. Au cours du repas, toute la maisonnée voit apparaître Mme CHANEZ (employée de maison chez M. BERNASCONI) affolée, disant que son mari FERNAND F.F.I., après s’être débarrassé de tout ce qui pouvait le compromettre, n’ayant pu traverser le Doubs avec ses camarades et se trouvant pris dans CROYOT jusqu’au mercredi matin était recherché par les Allemands furieux de l’avoir vu leur échapper venaient de prendre 4 otages qui seraient fusillés si M. CHANEZ ne se présentait pas dans les 20 minutes suivantes. Consternation générale : « Je ne veux absolument pas que ces 4 hommes soient fusillés à la place de mon mari », déclare Mme CHANEZ et il faut immédiatement le rechercher car il ne voudrait pas non plus.

Apprenant que M. CHANEZ était caché dans les W.C. de M. CORSET, Melle BERNASCONI va le chercher et, accompagnés de Mme CHANEZ, tous les 3 partent au P.C. allemand se trouvant dans la cave de l’ancienne maison commune de COUR. En cours de route, Fernand CHANEZ raconte son arrivée à COUR. Il est arrivé dans la matinée du mercredi dans la maison BERNASCONI croyant y trouver sa femme mais il a trouvé la maison vide toutes portes ouvertes et s’est alors rendu au village où il a été arrêté par les Allemands lui demandant ce qu’il fait là et d’où il vient. Réponse : « J’habite COUR et je travaille comme maréchal ferrant à BAUME et, il y a 2 jours, que je n’ai pu rentrer chez moi ; je n’ai pas trouvé ma femme et comme elle est bonne chez BERNASCONI, je suis allé chez son patron et n’ayant trouvé personne, je suis allé chez mes beaux-parents, M. HUDELOT, qui m’ont dit que ma femme était au village et je l’attends ».

Cette histoire paraissant vraisemblable, les Allemands l’avaient laissé rentrer chez lui et comme il n’était pas rasé depuis plusieurs jours, il s’était rasé en attendant sa femme ; sa femme ne venant toujours pas, il est sorti de chez lui et un des Allemands qui l’avaient interrogé le voyant frais rasé, trouva cela très louche et voulu l’arrêter à nouveau. C’est alors que commence le drame. CHANEZ s’enfuit avec l’aide de ses voisins, naturellement les Allemands ne s’embarrassent pas pour si peu et prennent 4 otages : MM. PEYRETON Marcel, GUINCHARD Marcel, SIGUST Joseph, DELIOT Maurice. De suite, révolver sur la poitrine : «si dans 20 minutes CHANEZ n’est pas là, on fusille ces 4 hommes et nous en prendrons d’autres disent-ils ». Melle BERNASCONI, qui apprend toutes ces choses, chemin faisant, tant par CHANEZ que par sa femme estime qu’il faut s’en tenir à cette version et tous les 3 arrivent chez les Allemands ; les otages sont toujours les bras en l’air et gardés sévèrement. Melle BERNASCONI entreprend de suite le feldwebel commandant le groupe : il ne peut plus admettre la version CHANEZ et ceci uniquement parce qu’il s’est rasé.

Après bien des discussions et argumentations, Melle BERNASCONI arrive à détruire leurs soupçons (terroristes) et à leur faire admettre que si CHANEZ s’est rasé, c’est simplement parce qu’il en avait besoin et qu’il en avait le temps avant que sa femme ne rentre à la maison…

Enfin, l’affaire est arrangée et les 4 hommes menacés d’exécution libérés après que Melle BERNASCONI ait proposé aux Allemands que CHANEZ et sa femme chercheraient abri dans la cave des beaux-parents, c’est-à-dire, dans celle où était installé le P.C. Allemand et qu’ainsi ils pourraient les surveiller à leur aise. Cet argument a paru les rassurer et ils ont accepté.

Melle BERNASCONI parlant couramment l’allemand s’est permis, cette affaire étant réglée, de leur demander si vraiment ils auraient mis leurs menaces à exécution en fusillant les 4 otages et la réponse a été nette et précise « nous aurions exécutés ces 4 hommes d’abord et, ensuite, 4 autres si nous n’avions pas retrouvé le fugitif et nous aurions également incendié quelques maisons peut-être même le village tout entier ».

A part les patrouilles circulant dans le village et tirant par-ci, par-là quelques coups de fusil, l’après-midi se passe sans autre incident. On apprend, dans la soirée, qu’un autre jeune F.F.I., Mimi BOILLOT vient d’être arrêté derrière l’église de COUR venant de chez BERNASCONI. Il raconte à peu près la même histoire que CHANEZ mais, cette fois, les Allemands ne le relâchent pas ; ils l’enferment dans la cave de leur P.C. (M. GUIGNARD a entendu l’interrogatoire) Mimi BOILLOT raconte que Melle et M. BERNASCONI sont ses onde et tante et que, inquiets sur leur sort, il était venu aux nouvelles en passant le long du Doubs et qu’il n’avait trouvé personne dans la maison. Le cas de CHANEZ est encore trop frais pour essayer de le faire sortir et il vaut mieux attendre. Le soir, vers 19 h, nous voyons les 2 chars quitter le village ; quel soulagement. A ce moment-là, nous croyons être tranquilles pour la nuit, mais déjà vers 20 h, le bombardement commence ; on se demande d’où viennent les coups ; on a l’impression que les batteries tirent de CHATARD, le 1er obus tombe dans le jardin de la cure, mais n’éclate pas.

D’autres suivent immédiatement après et atteignent cette fois la lisière du bois de sapins de CROYOT, ensuite, le tir est plus allongé en direction du CHAMP LAZARD. Le début de la nuit est plus calme et cela recommence vers 2h.

Jeudi 7 septembre 1944

Vers 3 h du matin, un coup formidable fait trembler toutes les maisons et on se demande ce qui arrive ce sont les grosses pièces d’artillerie qui tirent par-dessus le village de COUR contre un objectif assez éloigné, mais, dans les caves, on ne se rend pas compte d’où viennent le coup et c’est seulement le matin, en entendant siffler les obus au-dessus de nous, que nous situons les départs de la direction d’Autechaux (batterie allemande) et cela dure ainsi toute la journée.

Le cas de Mimi BOILLOT nous tient en souci ; à plusieurs reprises, Melle BERNASCONI va sous un prétexte ou un autre dans la cave du P.C. allemand où sont abritées les familles HUDELOT et GUIGNARD. Grâce à

M. GUIGNARD, Melle BERNASCONI est renseignée sur la situation qui est faite à Mimi BOILLOT qui est toujours là. Elle réussit à lui faire passer à manger et même sous prétexte de demander un cachet à la fille de Mme GUIGNARD qui est infirmière. Elle peut lui dire quelques mots et connaître la version qu’il a donné aux Allemands. Le même jour, elle réussit à parler au feldwebel pour lui demander s’il était convaincu de la bonne foi de CHANEZ. Sur sa réponse affirmative, elle lui demande si Mme CHANEZ peut venir dans la cave TRIMAILLE ; il répond qu’il n’y a pas d’inconvénient et que son mari peut également la suivre dans cette cave. Elle profite de ces bonnes dispositions pour lui demander pourquoi il gardait son neveu Mimi que, lui aussi, viendrait dans la cave TRIMAILLE avec sa tante, qu’il ne fuirait pas et qu’il aurait toute latitude pour le surveiller mais il n’y a rien à faire, Mimi BOILLOT doit rester avec eux.

C’est dans cette journée de jeudi que M. GUIGNARD voit arriver Marcel LECUYER (F.F.I. également) avec les Allemands venant de derrière l’église de COUR ; il est vêtu d’un short et d’une chemise kaki et porte en bandoulière une paire de jumelles américaines. L’interrogatoire se fait dans le couloir du logement de M. GUIGNARD. A ce moment-là, arrive une auto avec plusieurs officiers allemands venant de BAUME. Marcel LECUYER donne la version suivante : « j’étais à GUILLON à la colonie de vacances et je suis venu à BAUME pour rassurer les parents des enfants ; les officiers lui ont alors demandé pourquoi il avait besoin de jumelles et, sans attendre la réponse, la conversation a repris en allemand entre les officiers et le feldwebel et Marcel est sorti ensuite avec le feldwebel qui est revenu seul quelques instants après. M. GUIGNARD a supposé que Marcel LECUYER avait été emmené à BAUME par les officiers qui sont partis au même instant.

Tout l’après-midi, grand remue-ménage de voitures et de camions dans le village ; les Allemands réquisitionnent une camionnette de Francis TRIMAILLE et un camion de Pierre PAUTHIER. Ces véhicules n’étant pas en état de marche (pas de roues, pas de démarreur, etc) il faut aller chercher ce matériel au parc allemand qui se trouve près d’AUTECHAUX d’après ce qu’a compris Melle BERNASCONI faisant l’interprète entre Allemands et M. TRIMAILLE.

Vers 21 h, Melle BERNASCONI se trouvant dans le magasin TRIMAILLE voit arriver devant la porte de la maison PARATTE contre laquelle sont généralement affichés les avis officiels de la mairie un autre F.F.I., Maurice HUMBERT, vêtu d’habit de travail et portant une barbe de sapeur ; il faisait semblant de lire une affiche. Melle BERNASCONI comprend de suite qu’il s’agissait d’une feinte, s’approche en lisant une autre affiche et lui indique que le village de COUR est infesté d’Allemands et qu’il ne pouvait rester là. Elle lui conseille d’aller se réfugier immédiatement dans l’entrée de la cave de M. GAUTHIER, à côté du magasin TRIMAILLE et de n’en pas bouger avant qu’elle ne vienne le prévenir. Sachant qu’un Allemand était en train de discuter avec M. TRIMAILLE dans sa cuisine, elle propose à ce dernier d’offrir un verre de vin à cet Allemand ce qui est fait sans tarder.

Pendant ce temps, sachant l’allemand occupé, Melle BERNASCONI, accompagnée de Melle Blanche PAUTHIER va trouver Mme GAUTHIER pour lui demander si elle consentirait à laisser passer à travers de sa propriété un fugitif. Mme GAUTHIER accepte et, immédiatement, les 3 dames se plaçant en cercle devant l’entrée de la cave où est caché Maurice HUMBERT permettent à celui-ci de passer dans la maison GAUTHIER d’où, après l’avoir restauré, Mme GAUTHIER le conduit à travers son jardin dans une cachette sous un tas de ferraille dans le jardin de M. TRIMAILLE qui s’occupera activement de Maurice malgré la présence à moins de 50 m de postes de combats allemands.

Maurice, qui avait passé plus de 6 heures dans l’eau caché dans les roseaux bordant le Doubs avant d’arriver à COUR. Vers 10 h du soir, les véhicules réquisitionnés sont prêts à partir, mais pour obtenir les bons de réquisition, M. TRIMAILLE discutera longtemps et offrira à boire aux Allemands qui ne sont pas du tout pressés de partir ; ils sont 5 avec le feldwebel, et un nazi à 100 %, et qui tient des propos fantastiques disant « nous faisons la guerre correctement… si j’abandonne la France, c’est parce que nous le voulons bien…. Si vous ne voyez plus beaucoup d’avions allemands, c’est que notre Führer a donné l’ordre à tous les avions de rentrer en Allemagne car, après la perte des pétroles de Roumanie, nous allons les équiper pour marcher avec un nouveau carburant… Il ne faut pas croire que nous sommes vaincus, il y a 80 millions d’allemands qui se battront jusqu’au dernier homme, jusqu’à la dernière goutte de sang, etc… ».

Nous pensions que seul le camion et les 2 camionnettes allaient partir, mais le lendemain, nous constatons que tous les Allemands étaient partis à l’exception d’une quinzaine d’hommes commandés par un autre feldwebel et l’artillerie faisait toujours son chassé-croisé au-dessus de nos têtes. Toutefois, il y avait des indices qu’il se préparait quelque chose sur la rive gauche du Doubs ; il nous avait semblé entendre un bruit de moteur dans la côte d’AUCROIX ; on disait aussi qu’il y avait des Américains au Rond-Point. Quoi de vrai : attendons, cette quasi-certitude d’une libération prochaine délie un peu les langues. C’est ainsi qu’on apprend que 2 autres F.F.I. ont pu être cachés dans le village : JEANNERET Marcel, légèrement blessé à la poitrine est caché chez M. STEINER, de nationalité suisse, mais français de cœur et bon patriote ; NEDEY Marcel, blessé beaucoup plus sérieusement, avait pu se trainer jusque derrière chez M. DELACHAUX Louis, employé S.N.C.F. habitant sur la nouvelle route de COUR. C’est un soldat allemand, habitant chez DELACHAUX, qui est venu le prévenir qu’un blessé était dans son jardin et qu’il devait aller le secourir.

Quel dilemme DELACHAUX !!! est-ce bien sincère de la part de cet Allemand ?

Cependant, Monsieur DELACHAUX n’hésite pas et il va vers le blessé mais ne peut le porter seul. Il va chercher du renfort au village et ce sont Mme CRAVE, épouse du Directeur d’école, Melle Blanche PAUTHIER et M. FUYREL, un réfugié parisien qui viennent l’aider. Melle GUIGNARD, infirmière, soigne ses blessures qui sont graves et finalement, ne pouvant le soigner à COUR, il est emmené à l’hôpital de BAUME, avec l’autorisation des Allemands. On se demande encore à quoi on doit cet acte de générosité de leur part….

Dans la journée du jeudi également, Melle BERNASCONI obtient l’autorisation de se rendre à sa maison chercher différentes choses, entre autres, des médicaments et trouve caché sous un tas de rames de haricots, Pierre DESGOUILLES, un autres F.F.I., qui meurt de faim et voudrait bien se cacher un peu mieux. Les Allemands rôdent toujours autour de la maison BERNASCONI. Elle lui donne à manger et lui conseille d’attendre la nuit pour changer de coin et le quitte pour rentrer au village. Dans la soirée du même jour, les BERNASCONI retournent dans leur maison et constatent, avec stupeur, que Pierre DESGOUILLES n’est plus là, ni sous son tas de rames, ni dans la maison et que les aliments préparés à son intention sont presque intacts. Ils ne savent quoi en penser et craignent que ce brave F.F.I. ait été découvert par les Allemands. Dans la nuit de jeudi à vendredi, la canonnade continue presque sans arrêt au-dessus du village.

Vendredi 8 septembre 1944

Nous constatons qu’il n’y a plus qu’une quinzaine d’Allemands dans le village, un poste de mitrailleuse et fusil mitrailleur devant la maison RABY ; différents postes d’un ou deux fusils près de la cave TRIMAILLE, au coin de la maison ORCEL un feldwebel circule toute la journée d’un poste à l’autre armé d’une mitraillette et fait tirer ses hommes en direction du pont.

Ces soldats paraissent être isolés du reste de la troupe allemande de BAUME, on ne voit plus d’agents de liaison et ces hommes n’ont plus aucun ravitaillement et ne se nourrissent que de leurs rapines et de fruits. On me confirme que les Américains sont au Rond-Point Jouffroy, un réfugié de la cave TRIMAILLE apporte même une boîte de conserve américaine en confirmation de cette présence et tous les cœurs sont remplis d’allégresse à la pensée d’une libération prochaine.

Cependant, on a toujours la crainte de combats de rues possibles, le feldwebel restant étant, lui aussi, un nazi convaincu. Lors d’une conversation avec Melle BERNASCONI, il avait demandé combien de personnes s’abritaient dans les caves et combien il y avait de caves ; c’était évidemment bien difficile à répondre même approximativement, mais il a néanmoins voulu des chiffres. Melle BERNASCONI a indiqué environ 200 à 300 personnes en comptant celles venues du Pont et des Tanneries réfugiés dans une douzaine de caves. Melle BERNASCONI demanda pourquoi il voulait ces indications. Il lui est répondu : « Eh bien, nous aurons assez de grenades ». Mais, pourquoi faire ? …. Mais pour les lancer dans les caves et incendier le village avant de partir… Melle BERNASCONI ne put s’empêcher de lui dire : « Eh bien, si c’est ainsi que vous prétendez faire la guerre correctement… ». Après une telle conversation, Melle BERNASCONI, ne pouvait rester inactive et cherchait avec son frère comment faire pour éviter un pareil désastre…

Il était clair que ces messieurs étaient capables de mettre leurs menaces à exécution, car depuis la veille, on voyait dans la direction de BAUME de grands nuages de fumée dans différents quartiers de la ville, lueurs et épais nuages très significatifs sans savoir au juste d’où provenaient ces incendies puisque nous étions absolument sans nouvelles de BAUME. M. FERRIOT Armand, retraité de la Police, habitant sur la nouvelle route de COUR, ayant été blessé par un éclat d’obus, dut aller se faire soigner à l’hôpital de BAUME et ceci, sous le bombardement. C’est à son retour que les habitants de COUR apprirent la lamentable situation de BAUME et chacun se demandait si pareille chose n’arriverait pas à COUR.

Melle BERNASCONI, ayant une idée derrière la tête, se met en devoir de travailler le poste d’Allemands stationné près de la cave TRIMAILLE (2 factionnaires) avec l’aide de M. TRIMAILLE. Elle va bavarder avec eux, leur apporte à manger pour délier les langues et leur demande ensuite de ne plus tirer pour éviter d’attirer l’attention sur eux, par conséquent, d’éviter les dangers d’une riposte de la part des franco-américains du pont, ce qui ne serait pas sans dangers, ni pour eux, ni pour le village ; puis, elle leur fait remarquer que leurs chefs les ont abandonnés, qu’ils étaient des sacrifiés qui allaient laisser leur peau sans aucun profit pour eux et qu’ils feraient bien s’ils voulaient revoir leurs familles de se laisser capturer comme prisonniers. Mais, ils avaient une grande frayeur d’être capturés car ils savaient par leurs chefs que les Français ne faisaient pas de prisonniers et qu’ils coupaient la tête à tous les Allemands qu’ils capturaient.

Melle BERNASCONI leur fit comprendre qu’il s’agissait là tout simplement de propagande de la part de leurs chefs et que, jamais, les Français n’avaient fait chose pareille et que, s’ils voulaient se rendre, elle se faisait fort auprès des troupes françaises pour qu’ils n’aient aucune crainte à ce sujet ; ils commencèrent alors à se détendre montrant les photos de leurs familles. Dans le courant de l’après-midi, elle leur apportait encore à manger, le même menu que M. TRIMAILLE servait à toutes les personnes abritées dans sa cave (une quarantaine de personnes) et le résultat obtenu était déjà très appréciable puisqu’ils ne tirèrent plus de toute la journée. Vers 21 h, alors que les occupants de la cave se préparaient pour la nuit, Melle BERNASCONI sort de la cave et va trouver les 2 factionnaires qui sont toujours à leur poste, mais dont les armes sont toujours appuyées négligemment contre le mur du jardin TRIMAILLE.

Elle leur demande s’ils sont toujours disposés à se rendre, pressentant que quelque chose allait se passer. A cet instant même, entendant du bruit près de la maison du Directeur du Tissage, elle voit déboucher le Lieutenant GAMET avec quelques F.F.I. qui montaient en direction du village. La nuit commençait à tomber et Melle BERNASCONI dit aux Allemands : «eh bien, maintenant vous n’avez qu’à lever les bras, vous êtes prisonniers » …. Ce qu’ils firent immédiatement sans discuter et le Lieutenant GAMET n’eut qu’à les cueillir M. Adolphe BERNASCONI, étant présent à ce colloque, donne au Lieutenant GAMET quelques indications au sujet du P.C. allemand lui spécifiant que le feldwebel vendrait certainement cher sa peau et qu’il fallait s’en méfier.

Melle BERNASCONI signale également que le poste de mitrailleuse de la maison RABY pouvait être dangereux et qu’il faudrait d’abord réduire ce poste avant d’attaquer le P.C. Comme le temps pressait (une 2ème patrouille F.F.I. traversant le Doubs en barque après la patrouille GAMET et devant arriver derrière l’Eglise), Melle BERNASCONI part avec un des Allemands prisonniers pour capturer le poste de mitrailleuse RABY ; 2 F.F.I. les suivent de près pendant que GAMET avec le 2ème allemand prisonnier et le restant de la patrouille se rendent vers le P.C. allemand. Après bien des discussions, le poste de mitrailleuse se rend à Melle BERNASCONI qui remet les prisonniers à la garde des 2 F.F.I.

Elle se dirige ensuite avec eux vers la cheminée de l’usine où parait-il un F.F.I. blessé (PAUTOT Roger) est caché depuis le mercredi et sans secours. Elle appelle, mais personne ne répond et elle suppose qu’il a changé de cachette et remonte avec les 2 F.F.I. et les 2 prisonniers allemands vers le village. A ce moment, on entend un coup de feu isolé et la petite troupe se précipite vers l’église et entend un nouveau coup de feu. Anxieux, ils arrivent sur la place de l’église et voient avec joie les F.F.I. et le Lieutenant GAMET sains et saufs, mais il y a un cadavre au-dessus des escaliers de la cave du P.C. : c’est celui du feldwebel. Nous apprenons alors que le feldwebel montant les escaliers de la cave du P.C., après que le soldat allemand prisonnier eut sur les ordres du Lieutenant GAMET signifié à ses camarades du P.C. qu’ils étaient prisonniers et qu’ils n’avaient qu’à se rendre, tira à bout portant sur le Lieutenant GAMET qui lui criait en allemand Hände Hoche «Haut les Mains».

Heureusement, GAMET n’était pas touché et, par un réflexe rapide, tira presqu’en même temps sur l’Allemand qui, touché, redescendit l’escalier en trébuchant. Le feldwebel, pensant avoir au moins blessé son ennemi, remonte prudemment les escaliers. Le Lieutenant GAMET se camoufle contre la porte d’entrée du logement GUIGNARD et voit apparaître le feldwebel crispé sur son fusil prêt à tirer.

A ce moment-là, GAMET lui envoie une première décharge qui l’atteint au côté et ensuite une deuxième en pleine tête. Le feldwebel, blessé à mort, monte encore 2 marches et s’abat en haut des escaliers.

Le Lieutenant se place alors en position de défense d’un côté de la cave alors qu’un F.F.I. va se placer de l’autre côté de l’entrée de la cave. A ce moment, arrivent sur les lieux, M. et Melle BERNASCONI qui, sur les instructions de GAMET dit aux Allemands de la cave de se rendre car ils sont prisonniers. On discute fort dans la cave «de qui sommes-nous prisonniers, demande un allemand ?», «de l’armée française » lui répond-on. « Qu’est-ce qu’on va faire de nous ?», « vous serez traités comme prisonniers de guerre ». « Nous n’avons pas confiance, qu’est-ce qui nous garantit qu’on ne nous fera pas de mal ?», « Le Lieutenant qui commande le groupe vous le garantit ». « Nous n’avons pas confiance » ….

Cela menaçait de s’éterniser encore ; Melle BERNASCONI qui, jusque-là se tenait à côté du Lieutenant GAMET, va se placer près du cadavre du feldwebel face à l’entrée de la cave et, se croisant les bras, leur dit : « Vous avez peur, eh bien, moi, une femme, je n’ai pas peur. Si un Français vous dit qu’il ne vous fera aucun mal, vous devez le croire et moi, je suis Suisse, je vous le garantis également, je n’ai jamais menti de ma vie et ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à mentir. Sur ce, nouveau conciliabule et, finalement, ils consentent à se rendre.

Le Lieutenant GAMET, par la bouche de Melle BERNASCONI, leur intime l’ordre de monter l’un après l’autre, les bras levés sur la tête en laissant toutes leurs armes dans la cave, mais avant de les faire monter individuellement, elle demande si le prisonnier et les civils qui sont dans la cave, sont toujours vivants. Suite à la réponse affirmative donnée, la montée commence individuellement des 8 Allemands tremblants qui sont immédiatement appréhendés par les F.F.I. du groupe du Lieutenant HUMBERT qui vient d’arriver. Lorsque tous sont montés, on entend Melle BERNASCONI dire : « maintenant, Mimi, tu peux monter » et quatre à quatre, on voit arriver notre brave Mme BOILLOT qui embrasse Melle BERNASCONI (sa tante), serre la main aux F.F.I. se trouvant à proximité et se précipite sur le cadavre du feldwebel. Il lui enlève son ceinturon et son arme et se les passant autour de la ceinture, il dit « ce coup-ci, on peut recommencer ». Brave gosse, va. Tous les prisonniers furent ensuite fouillés et emmenés de l’autre côté du Doubs pour les mettre en sécurité. Les F.F.I. revinrent encore avec quelques prisonniers pour chercher le cadavre du feldwebel afin de ne laisser aucune trace de ce coup de main, ce qui aurait pu être dangereux pour le village de COUR si une patrouille allemande était venue.

Il était près de 23h lorsque tout fut terminé. Bilan, 12 prisonniers dont 4 faits par Melle BERNASCONI et les 8 du P.C., plus un tué (le feldwebel). Il manquait 2 Allemands qui étaient en patrouille au moment du coup de main et qui ont certainement dû se défiler pour essayer de rejoindre BAUME. Les BERNASCONI qui étaient pratiquement les seuls civils à être dehors à cette heure rentrèrent dans la cave TRIMAILLE et annoncèrent aux autres réfugiés qu’on allait pouvoir dormir tranquille, que le village était débarrassé des Allemands et qu’il n’y avait plus à avoir de crainte des incendies et combats de rues. Toute la nuit, la canonnade continue de plus belle, les obus se rapprochent et on sentait que le village qui avait déjà été touché dans l’après-midi recevait encore des obus.

La cadence diminue cependant et en tendant l’oreille entre deux détonations, il nous semblait entendre des bruits de moteurs près des Cités et du Pont, ainsi que des coups contre des pièces métalliques ce qui laissait supposer qu’on travaillait à la reconstruction du pont. Nous ne nous trompions pas ; cette nuit-là, le sommeil fut rare dans la cave TRIMAILLE et dans toutes les caves de COUR, on avait entendu les coups de feu du coup de main F.F.I. et les allées et venues de la soirée et on le comprend aisément.

Aussi, vers 3h du matin lorsqu’on entendit des coups de crosse dans les portes des maisons et des caves et que des voix humaines inconnues appelaient « Camarades Américains », il n’y avait aucun doute à avoir, c’était LA LIBERATION et ce fut une ruée dans les rues. Après avoir expliqué tant bien que mal aux Américains qu’il n’y avait plus d’Allemands dans le village, M. Adolphe BERNASCONI devance les Américains et va vite réveiller les habitants réfugiés dans les caves, notamment dans la cave SIGUST où se trouvent les otages qui avaient été sous la menace d’exécution (PEYRETON, GUIGNARD, SIGUST, DELIOT), car depuis le coup dur du mercredi, ces pauvres gens ainsi que leurs familles vivaient dans la perpétuelle crainte de la reprise des menaces des Allemands. On comprend la joie de tous en apprenant l’arrivée des Américains et la capture des Allemands du village.

Tous heureux de notre LIBERATION, nous avons regagné nos caves respectives et, au matin, dans le petit jour, on pouvait voir le sourire sur tous les visages encore que nous ne pouvions presque croire à notre bonheur. Toutefois, chacun était encore anxieux, comment il allait retrouver sa maison, son logement car les dégâts devaient être importants, compte tenu des coups entendus dans le combat. Le brave PAUTOT Roger, F.F.I., qui était caché dans une cave du tissage et non pas sous la cheminée de l’usine, comme nous le pensions, put être délivré le samedi matin et ce pauvre petit gars, gravement blessé au genou, n’en pouvait croire ses yeux, de ne plus voir d’Allemands dans le village après 4 jours et 4 nuits pendant lesquels il a cru devenir fou.

Mme HUDELOT mère, allant chercher des légumes dans son jardin, situé derrière la maison utilisée comme P.C. allemand, fait une épouvantable découverte : un cadavre se trouve en contrebas du jardin contre le mur du bâtiment de l’usine ; il s’agit de ce pauvre Marcel LECUYER qu’on croyait avoir été emmené par les allemands le jeudi et qui, certainement, a dû être froidement abattu par le fameux feldwebel qui était sorti avec lui après le départ des officiers allemands et qui était revenu seul quelques instants plus tard. Personne n’avait entendu de coup de feu à ce moment, ce qui explique pourquoi on avait supposé alors que Marcel avait été emmené à BAUME pour y être interrogé. Le matin, vers

9h, tout le village sur les portes a pu voir défiler les F.F.I. rescapés descendant du camp, acclamés et fêtés et, malgré les blessures de presque toutes les maisons, on voit apparaître aux fenêtres les drapeaux tricolores qu’on n’avait pas revus depuis 4 ans.

D’après M. Adolphe Bernasconi

Fait à COUR, le 11 août 1973

Ce texte et ces images sont extraits du Livret d’Histoires & de Mémoires 1944 – 2024 édité pour les 80 ans de la libération de Baume les Dames. Vous pouvez en retrouver une copie imprimée à la Médiathèque Jean Grosjean ou bien une copie numérique en suivant le lien ci-dessous