La vie d’un résistant F.F.I. de Baume

Du 14 février 1944 à la Libération de la ville (extrait des notes personnelles de Maurice HUMBERT)

Le 14 février, alors que je suis de service à la centrale électrique de LONOT en remplacement du titulaire, le camarade Adolphe GERARD arrive à l’usine vers midi trempé de sueur car il vient de faire le trajet à pied dans 15 cm de neige. Il est chargé de me prévenir que la Gestapo perquisitionne chez mon frère René et me recherche également. Aussitôt, je prends mes dispositions en vue d’une mise à l’abri rapide en cas d’arrivée de ces messieurs à l’usine, mais la journée se termine sans incident et je reste à mon poste jusqu’à 18 heures.

Dans le courant de l’après-midi, j’avais eu la visite de Marius SIRE venu m’informer de ce qui se passait à BAUME. Il n’a pas eu beaucoup de précisions et nous prenons rendez-vous pour le soir à 18h30 au café BOILLOT. A l’arrêt de l’usine, je me fais passer en barque et coiffé d’un passe-montagne et muni de lunettes noires, j’arrive au café BOILLOT sans encombre. Là, j’apprends que les boches se sont emparés du dépôt d’armes du clocher, et on suppose que c’est la raison des recherches de la Gestapo concemant mon frère René et moi-même. Les camarades, SIRE Marius et BREG Marcel ont peu de précision car ils ont hésité à se rendre au bureau E.D.F. occupé par la Gestapo. A la nuit venue, je me rends à la maison pour y prendre quelques effets malgré les recommandations des camarades qui craignent qu’un piège ne me soit tendu. Après avoir rempli mon sac tyrolien de tout ce qui peut m’être nécessaire pour la vie clandestine, je quitte mon domicile, passe au café BOILLOT pour y faire mes adieux, chez ma belle-soeur afin d’essayer de savoir ce qui s’est passé, et après un court entretien avec elle, je quitte BAUME par le pont sur le Doubs et je me rends à pied à LONOT où je passerai la nuit.

Le lendemain, 15 février, je pars en bicyclette pour MONTBELIARD où je reste quelques jours. Je suis alors averti que mon refuge risque d’être découvert par les boches et je reprends la route en vélo sans but précis. Après être passé à ROUGEMONT, je poursuis ma route et trouve un refuge à la BRETENIERE où je suis très bien accueilli. Dans ce lieu hospitalier, il m’est possible de demeurer un bon moment. C’est là que le 20 avril, je reçois la visite d’Auguste PERIARD qui m’apporte un pli secret me convoquant pour le 22 avril à 21h chez Henri GAMET en vue d’une action de résistance. Je donne mon accord à l’agent de liaison et le 22 avril, vers 15h, je quitte la BRETENIERE en disant que je dois me rendre dans la région de CLERVAL afin de brouiller les pistes éventuellement. Je passe par ROUGEMONTOT, BATTENANS, TALLANS, ROGNON, TOURNANS, VERNE, LUXIOL, FONTENOTTE. Aux abords de FONTENOTTE, j’attends derrière une haie le crépuscule et ne reprends ma route qu’à la nuit tombée vers BAUME où j’arrive à l’heure prévue. Henri GAMET m’expose notre mission : il s’agit de saboter l’écluse de Baumerousse et le départ est fixé à 23h ce qui me laisse le temps de passer à mon domicile que je n’ai pas revu depuis le 14 février.

A l’heure prévue, je suis sur les lieux, premier rendez-vous avec Henri GAMET. Je lui donne la main pour sortir les armes et l’explosif de leur cachette. A ce moment, arrivent Jean BELLO et Jean BILLEREY qui procèdent au montage des mitraillettes et nous expliquent le fonctionnement.

L’heure avance et nous quittons les lieux chargés de tout notre matériel, traversons une pâture, puis la route nationale et nous dirigeons par un sentier vers la prairie. A peine avons-nous franchi 100m que nous sommes mis en alerte par la présence de deux noctambules qui circulent dans la prairie. Comme il ne s’agit que de deux paysans attardés rentrant chez eux, nous poursuivons notre chemin, passons vers la baraque du stand de tir et arrivons aux bords du Doubs. Là, nous nous échelonnons convenablement car il faut traverser le Doubs par le pont, ce qui se fera sans difficulté. Ensuite, nous descendons dans le pré longeant la rivière et ne remonterons sur le contre-halage qu’en face des baraques GETTEN. Là, nous retrouvons deux camarades venus de LOMONT pour participer avec nous à cette opération. Nous voici donc six et après avoir dépassé la Grange VUILLOTEY où un chien aboiera à notre passage, nous arrivons sans encombre à la baraque des gardes de l’écluse. Après nous être camouflés avec des cagoules faites de bas de femmes, nous encerclons la baraque.

Un garde alerté par le bruit de nos pas ouvre la porte et nous nous précipitons à l’intérieur armes à la main. Grosse confusion parmi les occupants de la baraque qui n’offrent aucune résistance et se laissent docilement ficeler les mains derrière le dos.

Pendant ce temps, je franchis l’écluse afin d’accomplir ma mission qui est tout d’abord de couper le téléphone. Ne pouvant grimper après les poteaux comme prévu, j’essaie de casser les fils avec un harpon que j’ai trouvé sur place. Le seul résultat de mon intervention est de réveiller l’éclusier par le bruit que font les fils emmêlés et non cassés. Ouvrant sa fenêtre et croyant avoir à faire aux gardes de l’écluse, il m’intime l’ordre de cesser mon manège. Un camarade survient et le menace de sa mitraillette. Il a compris et se tait.

Nous pénétrons à l’intérieur de l’appartement par la fenêtre ouverte. L’éclusière est affolée, mais nous ne nous en préoccupons guère, pensant avant tout à couper le téléphone ce qui est fait en sectionnant les fils en plusieurs endroits dans le logement. Je reste pour garder à vue l’éclusier et sa femme pendant que mon camarade rejoint le chef en vue de poursuivre la mise en place des charges contre les portes de l’écluse. Je reste là à peu près une heure et une explosion se produit effrayant l’édusier et sa femme. A ce moment, après avoir invité l’éclusier à ne pas donner l’alerte avant le jour sous peine de sanctions, je quitte la maison éclusière et je rejoins le groupe. Nous prenons place dans une barque et traversons le Doubs au passe-cheval de BAUMEROUSSE. Nous remontons par le chemin qui passe sous la voie ferrée et contournant le village de CHAMPVANS, nous traversons la route nationale et le chemin de FONTENOTTE et regagnons BAUME par les Châtières et les Marnières. La dislocution du groupe se fait au pont de chemin de fer du Polet.

BELLO et BILLEREY se chargent du matériel restant qu’ils camoufleront dans une baraque de jardin et rentrent chez eux. Je reprends mon vélo chez Henri GAMET et je rejoins la BRETENIÈRE après avoir attendu le jour dans les bois à proximité. Ainsi, se termine ma première mission de sabotage.

Le lendemain, 23 avril étant un dimanche, un baurnois, Jacques RIEUX, apporte à la BRETENIÈRE des échos de cette affaire. J’apprends avec regret que le sabotage a été manqué, une seule mine ayant explosée au lieu de trois posées.

Je reste encore dans ce village une quinzaine de jours non sans changer de lieu de repos pour la nuit. Je rentre coucher à LUSANS chez d’aimables gens qui m’accueillent gentiment. J’en repars à la pointe du jour pour La BRETENIERE où j’aide aux travaux des champs.

Au début du mois de mai, je reçois l’ordre de partir pour le village de CHAMPLIVE où je trouve abri chez Alfred MAGNIN et où je resterai pratiquement jusqu’au débarquement du 6 juin. Le 31 mai, je reçois par Alfred MAGNIN l’ordre de me trouver le lendemain 1er juin à 4h30 sur la route de DAMMARTIN pour y attendre un émissaire. Rendu sur place à l’heure fixée, j’attendrai jusqu’à 7h sans rien voir venir et les paysans présents dans les champs semblant intrigués par ma présence, je décide de rentrer à CHAMPLIVE pour y travailler avec Alfred. Le soir, à 19h, alors que je fends du bois, Alfred m’appelle et je trouve mon frère qui était le visiteur annoncé et qui arrive avec beaucoup de retard. Heureusement, il n’y a pas eu d’incident de parcours sérieux et après nous être restaurés, nous partons ensemble sous une pluie battante. Il est 21h. Nous traversons sans bruit et sans encombre les villages de DAMMARTIN et de BRETIGNEY et nous nous rendons à BLEFOND où d’autres camarades doivent nous rejoindre pour un transport d’armes. A la tombée de la nuit, les copains arrivent successivement : Marcel RAVEY, Jean BELLO, Roger et Louis PERNOT, Aristide et Jean GRAMMONT et nous nous chargeons de matériels divers apportés la veille dans une tourelle à côté de la maison du curé de COUR. Il faut tout transporter dans une grotte peu accessible et ce travail se fait non sans grosses difficultés. Nous voici à l’entrée de la grotte avec le matériel à camoufler, mais nous ne sommes pas au bout de nos peines. Il faut hisser ce matériel dans la grotte et ranger convenablement. Il y a une quinzaine de containers comprenant : poudre, détonateurs, mines magnétiques, fusils, fusils-mitrailleurs, bazookas, torpilles et il faut faire des navettes entre la ferme et la grotte.

Tout se passe bien. Louis PERNOT a eu la jambe abîmée par un container par suite de la rupture d’une corde, mais il continuera courageusement son travail. Enfin, tout est bien rangé dans la grotte. Nous sommes le 2 juin à 1h30. Nous redescendons vers la maison de BLEFOND, cassons une croûte sous la remise, malheureusement pas de pinard et chacun va boire à l’Audeux. A 2h, René HUMBERT donne les dernières consignes avant la dislocation. Le débarquement allié peut survenir maintenant d’un jour à l’autre et chacun doit être prêt à rejoindre le maquis. En attendant, tout le monde est tenu à la plus grande discrétion. Rendez-vous est pris pour le Dimanche 4 juin en ce même lieu et nous nous quittons après une chaleureuse poignée de main.

Je reprends la route de CHAMPLIVE où j’arrive à 3h du matin. Dans la matinée, je pars en vélo à la BRETENIERE chercher mon matériel personnel en vue du prochain départ au maquis. En route, entre SECHIN et BRECONCHAUX, je croise la voiture du boche MULLER qui s’occupe de l’agriculture du secteur, suivie par une autre voiture remplie d’officiers allemands.

Rencontre sans incident. Après un bon repas pris avec mes amis, je les quitte avec mon barda en leur disant que je dois partir le lundi suivant en camion pour une destination inconnue. Je m’en vais en vélo par le VAL de ROULANS, BRECONCHAUX, OUGNEY et j’arrive à CHAMPLIVE sans histoires. Le lendemain, je travaille avec Alfred et le dimanche 4 juin, je quitte précipitamment un repas de communion à CHAMPLIVE pour me rendre au rendez-vous fixé à BLEFOND. J’y arrive le premier et après une attente d’environ une heure, je vois arriver les copains. Vers 15h, le chef arrive avec un instructeur qui nous explique le maniement des armes, l’utilisation des mines. La conférence se termine vers 18 h, l’instructeur devant reprendre un train. Le groupe se disperse heureux de posséder enfin un armement efficace pour lutter contre les boches.

Lundi 5 juin 1944

Etant rentré à CHAMPLIVE, je travaille au curage du ROGNON et le soir Alfred qui a écouté la radio anglaise me dit son étonnement devant le nombre inhabituel de messages personnels diffusés ce soir-là.

Mardi 6 juin 1944

Avant de partir au travail, nous attendons la Radio Suisse et apprenons le débarquement en Normandie des troupes alliées à 1h du matin. La nouvelle est confirmée à la Radio Anglaise et nous sommes dans la joie. Nous allons donc au boulot avec ALFRED et vers 16h, nous voyons une moto venir vers nous. C’est Marius SIRE qui me signifie que je dois me trouver à la nuit, au lieu habituel de nos rencontres que lui-même ignore, ce qui me prouve que le secret est bien gardé. Nous quittons immédiatement le travail et je me prépare à quitter CHAMPLIVE en faisant mes adieux à tous mes amis.

A la tombée de la nuit, je pars à pied en passant par BRETIGNEY. Je suis très heureux de pouvoir enfin partir au combat d’autant plus qu’en 39-40, j’en avais été empêché du fait des circonstances. Ceux qui à BAUME croyaient m’injurier en me traitant de « sale communiste » parce que je faisais de la propagande républicaine et antifasciste auraient peut-être bientôt des comptes à rendre de leur attitude défaitiste et pétiniste. En face SILLEY, je prends le sentier forestier qui m’amènera au lieu habituel de nos rencontres. Je trouve quelques camarades et nous nous installons pour la nuit alors que d’autres nous rejoignent : Jean BELLO, Emile CUENOT, les frères GRAMMONT et les frères PERNOT notamment. La garde est organisée et je prendrai mon tour de 2h à 4h. La nuit se passe sans incident.

Mercredi 7 juin 1944

Réveil à 7h, nettoyage du cantonnement afin de supprimer toutes traces de notre passage. Nous nous rendons à la grotte voisine pour préparer l’armement nécessaire. Une mission part à BAUME avec ROGNON et PERNOT, une autre avec Maurice LEGRAND à Lomont, notamment, pour chercher des nouvelles recrues. Dans la journée, Jean BELLO est rentré au camp et, vers 19h, il repart seul en nous fixant rendez-vous à proximité du FOUR À CHAUX pour l’opération de sabotage prévue. Maurice LEGRAND est rentré de LOMONT vers 20h.

Après un incident dans le maniement d’un F.M., nous rassemblons l’équipe et partons à 21h en accélérant le pas en direction de la Cote d’AUCROIX. Nous rencontrons à deux reprises des baumois qui se camouflent dans la campagne craignant une rafle nocturne et arrivons à proximité des Cités ROPP.

Après avoir caché une partie de nos équipements dont nous n’avons pas besoin dans le petit bois de sapins, nous franchissons la route nationale puis le chemin de halage, les ponts du canal et du Doubs et nous dirigeons par la prairie vers le FOUR À CHAUX où Jean BELLO et Roger PERNOT nous attendent. Les instructions sont données ; il s’agit de déboulonner les rails dans le centre du tunnel de CHAMPVANS ; 2 équipes de surveillance de chacune 3 hommes prendront place aux extrémités du tunnel pendant que l’équipe d’action comprenant 5 hommes déboulonnera les rails. La première phase consiste à neutraliser les garde-voies.

Elle est rapidement menée par Jean BELLO et Maurice LEGRAND qui nous font signe d’avancer. L’équipe d’action dont je fais partie s’avance sous le tunnel précédé d’une des équipes de protection qui continue vers l’entrée du tunnel côté FOURBANNE. Nous nous mettons rapidement au travail sous la direction d’Aristide GRAMMONT. Un grand nombre de tire-fond et boulons sont défaits, mais quelle guigne, nous devons abandonner ce travail, certains boulons n’étant pas de la dimension correspondant à nos clés et ne pouvant être démontés ; nous cherchons une autre rapponse de rails et parvenons à démonter complètement et obtenons le résultat escompté éclisses démontées, voire ripées sur une certaine longueur.

Les éclisses étant par ailleurs coincées, le rail ne pourra pas reprendre sa place et le déraillement est inévitable. Après 20 mns, le travail est terminé. Nous ressortons du tunnel après avoir rappelé l’équipe de protection de FOURBANNE. Un train arrive venant de BELFORT, mais malheureusement il n’est pas sur la voie sabotée, mais sur l’autre. Il est minuit et Jean BELLO nous prescrit d’attendre une heure dans les environs immédiats.

Vers 1h du matin, ayant remarqué un mouvement de véhicules sur la route de ROUGEMONT en direction de BAUME et craignant de voir notre retraite coupée au pont sur le Doubs, notre chef ordonne le repli et nous ne pourrons pas attendre là les résultats de notre sabotage.

Après avoir traversé la Prairie, nous nous regroupons près du bassin de décantation des égouts et au signal convenu de la sentinelle laissée au pont, nous franchissons sans encombre les ponts du Doubs et du Canal et soufflons un peu dans le petit bois de sapins des Cités ROPP. Après avoir récupéré notre matériel, nous repartons par le chemin de halage en direction de l’usine ROPP. En passant le pont de Pipes, nous entendons une violente explosion. Il est 2h30. Il s’agit du sabotage du cable souterrain des P.T.T. exécuté par une autre équipe de chez nous à La Cude.

En passant aux Pipes, nous déposons les dés de démontage des rails chez Albert LAURENT et nous remontons vers la Vierge de la LAVENNE. Nous attendons dans le bois afin de nous rendre compte du résultat de notre sabotage. Malheureusement, nous sommes contraints de penser que notre sabotage a été éventé et en sommes bien déçus. En effet, un train passe en gare de BAUME venant de BESANCON donc sur la voie sabotée. Nous poursuivons notre route et après deux poses, nous arrivons à LOMONT à la pointe du jour complètement fourbus. Après avoir pris du ravitaillement en pain et vin, nous nous dirigeons sous la conduite des frères LEGRAND vers la ferme de SUR FER où nous arrivons à 5h du matin.

Jeudi 8 juin 1944

A notre arrivée, vers 7h, une sentinelle placée à proximité de la ferme nous arrête pour vérification d’identité et nous passons pour retrouver de nombreux baumois déjà là. Je retrouve notamment Auguste CORNUEL, Marcel RAVEY, Adolphe GERARD, etc…. Les chefs sont là également : BESANCON, GAMET, mon frère René qui s’emploient à organiser le camp. Comme tous les camarades ayant participé aux actions de sabotage, je suis fatigué et je monte avec eux pour me reposer dans la grange. Le bruit nous empêche de nous reposer et après une heure, je redescends installer le poste de radio que j’ai amené dans mon sac. Dans la matinée, le recensement des présents étant fait, des corvées de transport d’armes sont désignées, notre équipe de sabotage en étant exemptée. A 11h, distribution de la soupe, suivie d’une distribution d’armes et de munitions. L’après-midi se passe coupée de nombreuses alertes aux avions. Vers 18h, tout de suite après la distribution de la soupe du soir, une alerte a lieu, des éléments ennemis étant signalés dans les parages. Après quelques hésitations, le rassemblement est fait et nous quittons les lieux en colonne par un. Après une petite heure de marche, nous nous installons en forêt, le mieux possible en construisant des abris sommaires. Le soir, vers 21h30, alors que quelques camarades sont retournés à la ferme, une alerte est provoquée par un coup de feu tiré par inadvertance par un des nôtres qui a fait une fausse manœuvre. Quelques hommes manquent de discrétion et parlent bruyamment ce qui provoque des observations méritées des chefs.

Vendredi 9 juin 1944

Repos dans la forêt avec construction d’abris en feuillages. Dans le courant de la matinée, on constate la disparition de plusieurs bidons de pinard ! Ecoute RADIO qui annonce à 17h30 la prise de FORMIGNY à 16 kms au Nord de BAYEUX. Vers 18h, reconnaissance d’un itinéraire de repli avec le Capitaine BESANCON et le Lieutenant HUMBERT et retour au camp après une heure d’absence. RAS.

Samedi 10 juin 1944

Je suis de garde de 6h à 9h30 et le reste de la journée se passe sans histoire. A 21h, les équipes MARGUIER et DEMONTROND partent en mission : l’une vers la côte de PONT LES MOULINS avec des consignes de harcèlement des colonnes allemandes, la seconde doit s’installer sur les Rochers de Babre pour observer l’importance des mouvements sur la voie ferrée et sur la route nationale. Ces équipes ne doivent rentrer au camp que dans la nuit du 11 au 12 juin. La pluie abondante inonde nos abris de toute part et nous ne pouvons dormir.

Dimanche 11 juin 1944

Je suis de garde de 6h à 8h. Le soir, vers 21 h, un coup de feu est tiré par un guetteur qui s’est affolé. Alerte, prise de position de combat au tour du camp. Après 1 /2 heure, l’alerte est terminée, mais les FM restent en position et je prends mon tour de garde au FM de 0 à 2h et de 4 à 6h. RAS.

Lundi 12 juin 1944

A la pointe du jour, sous la conduite de Jean BELLO, je pars avec 5 camarades en reconnaissance autour du camp. Cette patrouille d’une heure ne révèle rien d’anormal. Au cours de la journée, la radio annonce le siège de GRENOBLE, des combats FFI contre Allemands, et miliciens à TARBES, TOULOUSE, BELLEGRADE et dans les Vosges avec prise de 300 prisonniers allemands. Le soir, nouvelle alerte à la suite d’un coup de feu parti par inadvertance, ensuite un agent de liaison croit entendre des bruits de culasse alors, qu’en fait, il s’agit du bruit fait par les cuistots fendant du bois vers la ferme ! Rien de grave et la nuit se passera sans histoire.

Mardi 13 juin 1944

Je suis de garde de 4h à 6h et j’entends au lointain quelques explosions. A 7h30, la BBC annonce le voyage de CHURCHILL en Normandie avec un général américain. A 21h, le groupe BELLO LEGRAND, dont je fais partie, quitte le camp pour la grotte de BLEFOND pour aller y chercher des armes et des munitions. Nous passons par LOMONT et PONT LES MOULINS où Maurice LEGRAND s’attarde quelque peu et il est plus de minuit quand nous montons vers SILLEY. Après une heure de travail à la grotte, nous sommes tous chargés d’environ 50 kg de matériels divers. Après une fausse alerte au cours du trajet de retour entre BLEFOND et le dessus de la COTE d’AUCROIX, nous poursuivons notre route jusqu’à LOMONT par le même itinéraire. Je garde le matériel pendant que mes copains assistent à une messe dite à LOMONT pour les maquisards et nous reprenons la route de la ferme de SURFER.

Mercredi 14 juin 1944

Nous apprenons qu’un nouvel incident s’est produit au camp pendant notre absence au cours du nettoyage d’un fusil et que le Capitaine BESANCON a fait des remarques sévères à ce sujet. Notre équipe de sabotage se reposera toute la journée en raison des efforts fournis.

Jeudi 15 juin 1944

Vers 2h du matin, de très fortes explosions sont entendues. A 6 h 30, la BBC annonce la visite du front de Normandie par le Général DE GAULLE. A 10h, inspection des armes. Je suis à nouveau de garde de 12h à 14h et de 20h à 22h. Quand j’arrive au poste à 20h, le copain que je devais relever est déjà parti…. il y en a qui en prennent à leur aise !

Vendredi 16 juin 1944

A 4h30, le Lieutenant GAMET, accompagné de Jean BELLO et Roger PERNOT quitte le camp et surprend une sentinelle endormie. Ils recherchent les traces d’un avion ennemi abattu dans le secteur, mais ils rentrent au camp après avoir parcouru 25 km au moins sans succès. Il est 12h. A 20h, Jean BELLO se rend à BAUME pour confectionner des signaux en vue des parachutages. La nuit est calme et sans histoire.

Samedi 17 juin 1944

La BBC annonce la visite du front de Normandie par le roi GEORGE VI. Dans l’après-midi, un violent orage inonde tous les abris et nous revenons coucher la nuit à la ferme.

Dimanche 18 juin 1944

La moitié de l’effectif est absent sans autorisation et les chefs menacent de déplacer le camp de plusieurs kilomètres en cas de récidive car les absents ont profité de ce dimanche pour fixer des rendez-vous à leurs épouses, ce qui est très imprudent de leur part. Je suis de garde de 6h à 8h et de 12h à 14h et de 20h à 22h aux environs immédiats de la ferme où en raison du mauvais temps persistant, nous sommes toujours abrités. Distribution de tabac avec une pipe Ropp, gravée Maquis à chacun d’entre nous.

Lundi 19 juin 1944

Nous entreprenons la construction de baraques au milieu de la forêt avec des branches de sapin pour mieux nous abriter de la pluie. Dans l’après-midi, je me rends à LOMONT avec Maurice LEGRAND mettre une batterie neuve en charge dans le transformateur du village. Nous rentrons à la ferme où nous arrivons vers 19 h 30. Nous apprenons le lendemain qu’un camion boche égaré à LOMONT et cherchant la route du VALDAHON est passé près du transformateur peu après notre départ.

Mardi 20 juin 1944

Le matin, je retourne à LOMONT avec Henri MAGNIN pour échanger la batterie en charge au transformateur et en remettre une autre. Nous sommes de retour vers midi. Les officiers qui étaient partis en liaison avec d’autres maquis rentrent en même temps que nous. Il va y avoir du nouveau car ils ont rapporté une affiche bilingue adressée aux troupes allemandes et les invitant à se rendre pour éviter de sanglants combats. Dans l’après-midi, les sentinelles signalent un important mouvement de camions dans les Alloz. Vers 16h, nous sommes ravitaillés par la camionnette des Ets TRIMAILLE Epicerie à COUR et Emile CUENOT reçoit, par la même occasion un cageot de cerises de chez SOYE à GROSBOIS qui améliorent l’ordinaire. Nous recevons l’ordre de nous tenir prêts pour un sabotage et en sommes très heureux car, depuis le 7 juin, nous n’avons eu aucun sabotage à effectuer. A 20 h, le Lieutenant GAMET nous donne les instructions. Il y aura ce soir, 2 équipes de sabotage du téléphone et une troisième dirigée par l’Adjudant RUFFEZ chargée du collage des affiches bilingues à BAUME notamment. Jean BELLO part pour BAUME préparer le matériel de collage. A 20h30, nous nous mettons en route dans une certaine bonne humeur, Emile CUENOT nous faisant rire par son équipement burlesque. Sous la direction de RUFFEZ, nous descendons tous ensemble jusqu’au pont des Pipes. Là, nous nous séparons, l’équipe Maurice LEGRAND se dirigeant vers la carrière de CHAMPVANS où elle doit saboter la ligne téléphonique. Jean BELLO traverse le Doubs en barque et remet à RUFFEZ le matériel de colleur d’affiches. Deux barques sont à notre disposition et les 2 équipes traversent le Doubs en silence.

De l’autre côté, RUFFEZ part en direction de COUR avec Louis PERNOT et Milan SEGOTA. Notre équipe conduite par BELLO avec Emile CUENOT, Albert ROGNON, Léon LEGRAND et Aristide GRAMMONT, suit le Doubs vers le barrage de Lonot, puis la maisonnette de la SNCF habitée à l’époque par BRANCAZ. Pendant que Jean BELLO et moi-même continuons à suivre la route nationale jusqu’à la Grange RAVEY afin de voir s’il n’y a pas d’ennemis sur place, les camarades se dirigent vers la baraque des garde-voies.

Ils les neutralisent sans difficultés. Ils sont 4 et le poste de garde est transformé en salon de coiffure et Emile CUENOT s’emploie à leur faire une coupe gratuite et soignée. Ils font piteuse mine et sont ensuite ligotés les mains derrière le dos avec ordre de ne pas quitter les lieux sous peine de sanctions sévères. Comme nous avons rejoint le groupe, nous partons vers notre chantier. Il faut scier le plus grand nombre de poteaux téléphoniques le long de la voie et au-dessus des tunnels de la Grange RAVEY. Emile CUENOT fait le guet à l’entrée du tunnel. ROGNON et LEGRAND scient les poteaux en direction de HYEVRE. Je monte au-dessus du tunnel avec GRAMMONT pour tenter de couper les câbles de retenue des poteaux avant de scier les poteaux et couper les fils. Les câbles sont tenus par des frettes en acier et non par des serre-câbles et nous avons du mal à accomplir notre mission. Pas de cisaille, ni de scie à métaux, et ce n’est pas avec notre clef à molette que nous pouvons espérer réussir.

Jean BELLO s’impatiente et vient nous aider. Il commence à scier les poteaux alors que je monte pour couper les fils avec ma pince. Ce n’est pas facile car il y a des fils très durs et je laisse tomber ma pince que Jean reçoit dans le dos. Finalement, nous allons couper les fils sur une console métallique fixée au rocher et c’est GRAMMONT qui se charge de ce travail. Enfin, les fils tombent entrainant les poteaux, mais, malheureusement, ils restent en partie pendus par les câbles restant et ne viennent pas obstruer la voie comme nous le pensions. En sciant les poteaux, GRAMMONT avait constaté la présence au pied de ceux-ci de charges de plastic posées certainement par une autre équipe quelques jours avant. BELLO les désamorce et les retire. L’autre équipe a parfaitement réalisé sa mission et sur près d’1km, la ligne téléphonique est tombée sur la voie avec les poteaux sciés. Beau travail ! Il faut maintenant penser au repli. Nous passons vers la barque des gardiens et constatons qu’ils n’y sont plus. En passant vers la maisonnette BRANCAZ, nous constatons qu’ils sont là ce qui nous rassure et nous poursuivons vers le barrage de LONOT. Après avoir traversé la route nationale, nous voyons un camion qui descend la côte. Immédiatement en position de combat, nous attendons qu’il soit à notre portée. Jean BELLO nous invite à ne tirer que sur son ordre pour éviter toute méprise.

Léon LEGRAND prépare une grenade. Fausse alerte car il s’agit d’un camion civil. Nous reprenons notre chemin le long du Doubs et, en face de notre lieu d’embarquement, nous trouvons un paquet de tabac déposé là par un ami que Jean BELLO avait rencontré à BAUME la veille. Nous traversons le Doubs et le hameau des Pipes sans réveiller les habitants. Nous nous arrêtons chez Louis CHABOD pour nous y restaurer. Marius BOUSSARD de PONT LES MOULINS, de retour de mission passe également à La LAVENNE, mais très pressé n’y reste que quelques minutes.

Mercredi 21 juin 1944

Il fait grand jour depuis 1h et nous décidons de remonter au camp. Jean BELLO passe en vélo par la route de LOMONT alors que nous prenons par les bois. Nous arrivons vers le château d’Eau de LOMONT. Jean BELLO vient vers nous, accompagné de Sylvain LEGRAND, le père de nos 2 camarades. Ils nous signalent que les boches sont au village vers chez le maire. Léon LEGRAND voudrait les attaquer malgré l’opposition de BELLO. Vive discussion car on ne sait combien ils sont au juste. L’arrivée d’une fille du village précisant qu’ils sont plus de 50 calme les esprits et nous décidons de tenter de rejoindre la ferme de SURFER sans être vus. 24

Nous contournons le village avec prudence et suivons la ligne H. T. de CUSANCE. Ensuite, à travers champs, nous nous dirigeons vers les fermes du MONT MILLOT. Nous découvrons des traces du passage des Allemands. D’après Léon LEGRAND, nous sommes à 500 m des fermes du MONT MILLOT. Ayant constaté la présence de soldats allemands en surveillance dans les parages, nous nous replions vers les roches de CUSANCE et traversons le chemin de LOMONT à CUSANCE.

Une moto allemande circulant sur ce chemin nous contraint à rechercher un abri encore en retrait. Depuis notre position, nous observons deux cultivateurs occupés dans leurs champs mais ne les connaissant pas, nous ne prenons pas contact par prudence. Le manque de sommeil se fait sentir et comme il faut se tenir aux aguets, nous organisons un tour de garde. Vers midi, ne voyant rien bouger, nous décidons de nous rapprocher de LOMONT car nous avons faim et nous arrivons à travers bois à quelques centaines de mètres du village.

Léon LEGRAND part en reconnaissance au village. Nous observons les environs à la jumelle et découvrons une sentinelle boche camouflée dans une haie. Ils sont donc encore là et nous nous déplaçons à nouveau pour mieux nous abriter. Léon LEGRAND nous rejoint accompagné de Lucien MARGUIER qui a eu une balle de mitraillette. Tous deux sont chargés de ravitaillement qui est bien accueilli. Par contre, ils nous disent qu’on a vu de la fumée en direction de la ferme de SURFER et un grimpeur confirme l’exactitude de l’incendie. Les boches traquent tout le secteur et entendant un camion sur un chemin très voisin, nous reprenons notre repli en emportant le ravitaillement. Nous nous dirigeons par le bois du SAUSSOIS vers la LAVENNE. Arrivés à proximité des fermes, nous faisons une pause et décidons de prévenir l’équipe de Maurice LEGRAND des fait survenus au camp. Ce sont Léon LEGRAND et Lucien MARGUIER qui s’en chargent. Il est 16h30 quand nos 2 camarades nous quittent et nous allons nous camoufler dans une petite combe boisée très proche de la maison CHABOD où Jean BELLO se rend pour chercher du lait.

Deux voitures légères allemandes passent sur la route. Il s’agit sans doute des officiers ayant commandé l’opération et nous aurions aimé pouvoir leur faire payer leur forfait en les grenadant depuis notre abri. Jean BELLO revient après 1 /2 heure avec Marcel SAINT et Adolphe GERARD qu’il a trouvé chez CHABOD. Ils ont chacun un litre de lait qui fera notre régal à tous. Vers 20h, Jean BELLO nous quitte pour se rendre à BAUME et nous donne rendez-vous à 23h vers la Vierge des Pipes. Nous quittons notre combe pour nous rendre prudemment au rendez-vous fixé. Jean BELLO arrive avec un peu de retard mais sans aucun renseignement. Il retournera donc à BAUME dans la matinée s’il obtient le feu vert de la part de nos amis BERNASCONI. En attendant, nous essayons de nous reposer, mais il est bien difficile de dormir dans ces conditions.

Jeudi 22 juin 1944

A la pointe du jour, nous nous dirigeons vers la ferme d’Alfred JEANNOT. Là, nous retrouvons Louis MARGUIER de BAUME. Nous nous restaurons rapidement et quittons la ferme vers 6h en compagnie de Louis MARGUIER pour gagner les rochers de BABRE. Nous vérifions que le signal convenu est en place sur la maison BERNASCONI. Nous rencontrons dans le bois deux maquisards qui nous disent que le maquis a été dissous à la suite de l’attaque de SUR FER et qu’ils rentrent à BAUME en attendant d’autres ordres. Par contre, les équipes de sabotage restent mobilisées. Vers 10h, Jean BELLO se rend donc au rendez- vous alors que Louis MARGUIER regagne la ferme JEANNOT. Nous restons donc à six à attendre le retour de notre chef de groupe. A midi, nous prenons un léger repas avec ce que chacun a encore dans sa musette, puis nous nous reposons un peu sous la garde d’un des nôtres.

Vers 15h, Louis PERNOT vient me chercher pour aller rencontrer Jean BELLO qui m’attend près de la Vierge de la LAVENNE et je rappelle les 5 copains car nous avons ordre de rejoindre le P.C. en passant par la ferme de SURFER. Avant de partir, nous cassons la croûte avec ce que Jean BELLO a ramené de BAUME. Nous disons adieu à Marcel SAINT et Adolphe GERARD qui sont comme Louis MARGUIER contraints de partir à l’aventure en attendant la reconstitution du maquis. Nous passons par la maison CHABOD où nous nous ravitaillons en eau et par les bois, gagnons LOMONT où nous arrivons vers 20h. Nous rencontrons Léon LEGRAND, Lucien MARGUIER et Lucien LAURENCY et nous leur donnons rendez-vous à SURFER.

Je passe au transformateur débrancher les accus qui sont en charge depuis 3 jours et nous nous dirigeons vers la ferme ou plutôt ce qu’il en reste. Quel triste spectade : il ne reste que des murailles noircies et des restes de poutres calcinées. Nous cherchons dans les haies voisines les sacs qui y avaient été cachés avant le repli du camp. Nous ne retrouvons qu’un bien petit paquetage. Je découvre une poule qui défend ses poussins réfugiés sous son aile et j’apprécie à sa juste mesure la sauvagerie teutonne qui a marqué de son empreinte la ferme et ses abords. Quelle civilisation nous promettait ces soudards nazis ! Après 1h de recherches, nous repartons avec Lucien LAURENCY qui nous a rejoint et, dans l’obscurité, vers 23h, nous nous dirigeons vers la route des Alloz où nous avons rendez-vous avec Maurice LEGRAND et Louis PERNOT.

Vendredi 23 juin 1944

L’équipe Maurice LEGRAND arrive sur place vers 2h du matin. Ils sont exténués. Malgré tout, après une pause d’1/2 heure, ils reprennent la route avec nous pour arriver à la ferme de la MONT NOIROTTE vers 4h du matin. Nous réveillons le propriétaire M. BONNET très accueillant, nous devrions trouver là l’agent de liaison Claude CHARRIERE de CUSANCE mais il n’est pas là. Un camarade se rend à CUSANCE pour essayer de le contacter et en attendant son retour un service de guet est établi aux abords de la ferme pour éviter toute surprise. Vers 5h30, nous apprenons que Claude CHARRIERE est parti prévenir le P.C. de notre présence ici et que nous devons attendre les ordres. Afin de ne pas renouveler le drame de SURFER, nous décidons de nous éloigner de la ferme et M. BONNET se charge de nous ravitailler, ce qui est bien apprécié. Nous nous installons tant bien que mal dans le taillis pour nous reposer un peu. A 15h, n’ayant rien vu, nous nous éloignons encore dans un bouquet de sapins voisins.

A 20h, nous partons à 4 vers SURFER faire de nouvelles recherches et récupérer un poste radio camouflé dans une grotte à 1 km du camp. Avec Albert LAURENT, nous allons à la grotte et récupérons le poste radio pendant que nos 2 camarades vont à la ferme. Au retour, nous passons par le camp en forêt et constatons l’acharnement mis par les boches à tout détruire dans le camp comme ils l’ont fait à la ferme. Nous retrouvons nos 2 camarades qui n’ont rien trouvé et rentrons à notre abri vers 23h.

Samedi 24 juin 1944

Au matin, nous recevons encore du lait de M. BONNET, mais avec difficultés car il a vu deux boches rôder aux alentours hier. Nous nous divisons en 2 groupes : le groupe LEGRAND cherche à gagner des grottes dans le secteur de MONTIVERNAGE alors que celui de Jean BELLO dont je fais partie avec Emile CUENOT, Albert ROGNON et Louis PERNOT se dirige vers LANANS. Nous sommes à proximité du village, vers 10 h, et Emile CUENOT, accompagné de Jean BELLO va dans une maison amie. Ils rencontrent au village Marcel RAVEY et André TAVERNE qui nous apportent à manger pendant que nos 2 copains se restaurent chez une cousine d’Emile CUENOT.

Vers 20h, nous nous dirigeons vers La COMBE en passant derrière VAUDRIVILLERS. Alors que nous nous préparons à passer la nuit dehors en nous abritant de notre mieux. Marcel RAVEY nous conduit auprès de M. QUERY, le maire de PASSAVANT qui nous abrite dans sa grange, ce que nous apprécions fort et pouvons récupérer ainsi un peu de sommeil.

Dimanche 25 juin 1944

Nous avons la visite de Mme BOAGLIO, la soeur de Marcel RAVEY. Elle nous apprend l’arrestation de 5 hommes lors de l’attaque de SURFER : les frères CURTY, garde-forestiers, agents de liaison du maquis, Armand HYENNE, patron de SURFER et son employé, Jean GUYOT ainsi qu’un jeune homme de GUILLON. Ils ont emmené deux camions et des motos découverts cachés vers la ferme. Pour midi, la famille QUERY nous offre à diner à la maison, et l’après-midi, nous restons camouflés dans la grange car c’est le jour de la distribution des cartes d’alimentation. Vers 15h, Marcel BREG de BAUME vient à la maison QUERY et nous lui faisons une farce avec la complicité de nos hôtes en le menaçant de nos mitraillettes après nous être camouflés sous des cagoules. Vers 16h, Jean BELLO et Louis PERNOT vont en liaison au P.C. A 21h, nous entendons à la radio l’annonce de la prise de CHERBOURG.

Vers minuit, alors que nous sommes encore à table chez QUERY, arrivent plusieurs copains parmi lesquels Jean FEY, Lulu BOUSSARD, Paul RENAUD annonçant que les boches ont fait une rafle à PONT LES MOULINS arrêtant, notamment, Gustave BOUSSARD, le père de Lulu et le fils MAGNIN. Les boches ont donné 48h à Paul SIMON et à son père pour se rendre à la Gestapo ou sinon les moulins seront incendiés.

Lundi 26 juin 1944

Vers 2h30, BELLO et PERNOT sont de retour et nous allons coucher à la grange. Nous y resterons camouflés toute la jounée et nos hôtes nous y apportent nos repas. Vers 20h, nous quittons les lieux pour effectuer un transport d’armes. Par MONTIVERNAGE, nous gagnons LANANS. Au passage, nous sectionnons le cable téléphonique à la traversée de la ligne électrique H.T. Nous passons vers Charles PINAIRE, employé de la maison GAGEY qui nous remplit nos bidons de pinard et retrouvons toute l’équipe vers les fermes du Mont MILLOT vers 22h. L’équipe LEGRAND nous rejoint vers 23h et nous nous mettons au travail. Il s’agit de reprendre armes et munitions cachées là à la dissolution du maquis de SURFER pour les camoufler dans une cachette jugée plus sûre et située à environ 800 m. Nous ferons chacun 2 voyages chargés comme des baudets.

Mardi 27 juin 1944

Vers 2h, tout ce matériel est rassemblé à l’entrée d’une grotte et l’équipe LEGRAND reste sur place pour ranger le matériel dans la grotte alors que nous regagnons la COMBE de PASSAVANT par MONTIVERNAGE. A 15h, nous prenons nos paquetages pour changer de gîte. Nous nous dirigeons vers la maison AMEY sous la conduite de Marcel RAVEY. Nous prenons nos repas à la cuisine et nous travaillons à de menus travaux dans la journée tout en surveillant le secteur. La radio annonce que CHERBOURG est définitivement libérée et les copains se rappellent que j’avais pronostiqué la libération de PARIS, 15 jours après celle de CHERBOURG soit le 17 juillet !… La nuit se passe dans la grange sans problème.

Mercredi 28 juin 1944

Le père de Marcel RAVEY nous rend visite et nous apporte divers objets personnels et notamment du linge propre. Nous écoutons la radio avec notre poste et apprenons qu’en Russie, l’Armée Rouge a libéré 3 000 localités en 48 h. En Normandie, offensive sur TILLY sur SEULES et traversée de la route de VILLERS BOCAGE à TILLEY. A 21 h, nous apprenons l’assassinat de Philippe HENRIOT. Pour nous, nuit calme.

Jeudi 29 juin 1944

Après une journée calme, vers 20h30, je pars en liaison avec Jean BELLO vers le cimetière de LANANS – SERVIN. Les officiers nous signalent la présence, dans le secteur, d’un couple de soi-disant parachutistes qui ne sont que des agents de la Gestapo et qui cherchent le contact avec les maquisards. Nous rentrons à la COMBE, vers 2 h, non sans avoir observé, en direction de PIERREFONTAINE, une vive lueur.

Vendredi 30 juin 1944

Nous apprenons à la radio la rupture des relations diplomatiques entre la Finlande et l’Amérique. L’armée rouge est à la frontière polonaise de 1939 : 3000 finlandais tués en 24h. En Normandie, le Général DOMAN est tué (c’est le 6ème Général allemand tué sur le front de l’Ouest depuis le débarquement). On annonce également des troubles à VICHY mais cette nouvelle s’avèrera inexacte. Nous envisageons de nous installer en forêt estimant que nous sommes depuis trop longtemps chez AMEY. Vers 22h, nous quittons la grange chargés de sacs de paille et après 1/4 d’heure de marche, nous préparons notre futur campement au lieu-dit ROCHER DU POMMERET. Nous retournons chercher nos paquetages.

Samedi 1er juillet 1944

Vers 5h, nous parvenons à notre nouvelle installation que nous aménagerons au cours de la joumée : couchette collective bien garnie de paille, mur à l’entrée de notre repaire alors que devant la caverne nous installons une table rustique et des bancs. C’est Marcel RAVEY qui va chercher nos repas à la Combe. Nous sommes au moins à l’abri des intempéries sous 3 m de roche et pouvons y dormir relativement bien.

Dimanche 2 juillet 1944

Nous observons le repos dominical. L’après-midi, nous recevons la visite de Melles QUERY qui nous apportent un excellent goûter. Nous allons voir des camarades cachés à la ferme du FAHY et nous y rencontrons Jean FEY qui nous fait visiter son refuge nocturne du FALLOT et après avoir cassé la croûte chez Mme BERTIN, nous regagnons notre caverne.

Lundi 3 juillet 1944

Marcel RAVEY nous annonce que la scierie de PIERREFONTAJNE a été détruite par un incendie et c’est ce que nous avions vu le 30 juin en rentrant de liaison au PC. Nous sommes ravitaillés par M. LOIGET de la ferme des VOIDEY. Vers 22h, Emile CUENOT et Louis PERNOT se rendant chez les QUERY où le coiffeur MILO doit faire son office. Ils rentreront le lendemain vers 2h entre 2 averses.

Mardi 4 juillet 1944

La radio annonce la prise de MINSK par les Russes avec 22 généraux allemands hors de combat depuis un mois sur le front russe. Vers 10 h, la famille LOIGET nous apporte du ravitaillement dont un litre de goutte qui sera bien appréciée et Mme BELLO venue voir Jean nous apporte une bonne bouteille et un gâteau ce qui complète notre joie. Emile CUENOT rentre de chez GROJEAN aux VOIDEY où il est allé couper les cheveux à toute la famille également chargée du ravitaillement et le moral est au beau. Malheureusement, cette joie est ternie par la nouvelle rapportée par Marcel RAVEY de l’arrestation d’Alfred MAGNIN de CHAMPLIVE le 28 juin. Ensuite, CUENOT, ROGNON et PERNOT visiteront dans la nuit une maison amie de PASSAVANT, celle des VILLAIN et en ramèneront encore du ravitaillement.

Mercredi 5 juillet 1944

Nous faisons une bonne récolte de fraises des bois que nous irons manger le soir avec les QUERY- L’Armée Rouge est à 250 kms de la frontière allemande. Le soir, chez QUERY, nous mangeons avec toute la famille et aussi le curé de PASSAVANT très heureux de nous rencontrer. Il nous annonce l’arrestation à BELFORT du couple suspect signalé par le PC. Malheureusement, il s’agit là d’une fausse nouvelle comme nous l’apprendrons plus tard. Après une agréable soirée, nous regagnons notre gîte vers 3 h du matin.

Jeudi 6 juillet 1944

Vers 10h, nous dégustons un café au lait ramené par Louis PERNOT d’une ferme voisine et Jean BELLO part avec ROGNON et CUENOT pour une liaison avec le P.C. Ils passeront également à la grotte de MONTIVERNAGE prendre le sac de TAVERNE pour le lui faire parvenir dans sa cachette. A 21h, nous sommes prévenus par M. LOIGET du débarquement dans le secteur d’un Algérien qui lui a paru suspect. RAVEY nous signale, lui, la présence d’un couple rôdant dans le secteur et qui l’a intrigué. Nous partons en chasse, mais reconnaissons le couple en question qui est un couple ami. Après des excuses, nous regagnons nos pénates.

Vendredi 7 jeudi 1944

Nous sommes réveillés vers 7h par Louis PERNOT de chez LOIGET avec notre café au lait matinal. Jean BELLO et les camarades sont rentrés dans la nuit de leur liaison avec le PC. Ils ont ramené avec eux Jean BILLEREY qui a été blessé à CLERVAL, mais se trouvant mieux désire reprendre de l’activité avec notre groupe. Ils se reposent jusqu’à midi. A leur réveil, ils nous signalent que les boches ont attaqué le maquis d’ECOT et qu’un grand nombre de copains ont été tués et que les teutons ont incendié le village. La radio nous annonce la révocation de VON R’UDSTET, Maréchal de l’armée de Normandie et son remplacement par VON KLUG.

A 13h, nous apprenons par Jean BELLO que nous devons partir en mission cette nuit à BAUME, ce qui nous réjouit car l’inaction nous pèse. Notre absence est prévue pour plusieurs jours et nous devons emporter des vivres en conséquence. Après avoir fait parvenir à TAVERNE à la ferme du FAHY le linge reçu ce matin, je camoufle nos sacs dans le poste transformateur des VOIDEY et nous quittons notre caverne vers 16h. En passant à la COMBE, nous aidons les QUERY aux foins et voyons arriver TAVERNE qui a quitté le FAHY alerté par la présence d’officiers allemands sur la route d’ORSANS et craignant une opération de ratissage. Nous partons de la COMBE avant la nuit pour arriver à temps au lieu de rendez-vous : le Pont des Pipes. Jean BILLEREY ne nous suivra pas car il est encore fatigué de ses blessures de CLERVAL.

Nous passons par les Bichets, le Mont de GUILLON et traversons le Cusancin aux Bains de GUILLON, puis par la Lavenne, gagnons le Pont des Pipes où nous arrivons à 22h. Jean BELLO traverse le Doubs en barque pour voir les BERNASCONI. Il revient après 1/2 heure sans renseignement précis mais avec un bon paquet de cigarettes qui fait le bonheur des fumeurs sevrés.

Samedi 8 juillet 1944

Vers 0h30, alors que les camarades se reposent dans un champ de blé, je me rends sur les ordres de Jean BELLO à l’usine électrique de LONOT où je devrais trouver un de nos officiers. Peine perdue car je ne vois rien de l’alerte étant donnée par le chien de Marcel NICOLAS aux boches qui sont à l’écluse proche, je reviens sur mes pas bredouille. Après 1/4 d’heure d’attente, je repars à nouveau sur ordre de Jean BELLO et, cette fois, ayant observé sous un arbre à une trentaine de mètres du chemin, 2 personnes chuchottant en français, je retrouve les 2 responsables de l’expédition. Nous allons nous abriter dans la baraque où Eugène NICOLAS fabrique ses barques pour y attendre l’équipe LEGRAND. Cette équipe n’arrivant pas, l’expédition prévue est remise au lendemain. Il est 3h et je pars avec Jean BELLO et Louis PERNOT à la grotte de BLEFOND alors que ROGNON et CUENOT vont se cacher dans une grotte voisine sous la conduite de Marcel NICOLAS.

Dimanche 9 juillet 1944

Nous arrivons à la grotte de BLEFOND vers 6 h et prenons un léger repos jusqu’à 9h. Nous entrons dans la grotte afin d’y prélever le matériel nécessaire (détonateurs, explosifs) et nous nous abritons en lisière du bois pour y attendre la nuit. Après une promenade exploration dans les gorges de l’Audeux, nous faisons un repas avec du pâté VUATTOUX pris dans la grotte. Jean BELLO nous quitte à 19 h 30 pour se rendre à BAUME nous donnant rendez- vous au Pont des Pipes à 22h30. Nous quittons les lieux vers 21h30, passant par les Cités où nous effrayons, au passage, des amoureux en rendez-vous galant et retrouvons Jean BELLO à l’heure dite. Nous poursuivons jusqu’à LONOT et attendons l’équipe LEGRAND qui arrivera à 1h30.

Lundi 10 juillet 1944

Aussitôt, l’équipe LEGRAND arrivée, nous traversons le Doubs en barque sans incident. Nous montons le sentier de LONOT, traversons la route nationale de BELFORT et gravissons la pente abrupte sous la conduite de Joseph PAUTOT et non sans difficultés. Après une pause à l’arrivée sur le plateau, nous nous remettons en route vers le Col de la Boussenotte. Nous rencontrons 2 camarades chargés du sabotage de la ligne téléphonique passant au- dessus du tunnel de LONOT. Nous laissons à leur mission et poursuivons vers la ferme du Champ Lazare où nous arrivons trempés jusqu’aux os. En pénétrant dans la gange, nous effrayons des copains : Adolphe GERARD, Marcel SAINT et Victor LAURENT, anciens du maquis de SURFER qui viennent, chaque nuit, dormir là.

A 6h, réveil avec café au lait offert par le fermier très accueillant, ce qui est fort apprécié et à 6h30, nous partons sous la conduite du fermier en direction du théâtre des opérations. Après une heure de marche, nous nous installons sous un rideau de sapins dans un poste d’où nous pouvons observer sans crainte ce qui se passe sur la route nationale. Une garde est établie avec relève toutes les heures. Dans la journée, nous entendons la musique d’un manège d’autos installé place du Breuil, ce qui nous hérisse un peu : savoir que des compatriotes se la coulent douce alors que nous essayons de travailler à la libération du territoire !….

Dans la journée, nous avons la visite de M. ATHIAS, venu nous renseigner sur les activité suspectes d’une habitante de la BRETENIERE. Nous écoutons la radio et certains se ravitaillent en cerises sur les arbres du voisinage. A 21h30, après avoir camouflé le matériel dont nous n’avons pas besoin, nous nous dirigeons vers la RN 73 que nous atteignons vers 22h30. Le Lieutenant dispose les sentinelles qui doivent protéger Ies 2 chantiers de sabotage distants entre eux de 500 m : 2 hommes à chaque extrémité des chantiers et 1 homme entre les 2 chantiers. Je suis désigné avec Louis PERNOT pour la protection des chantiers, côté BAUME. Nous nous installons dans la combe entre l’Oratoire et le poste transformateur de la CUDE. Le travail de sabotage du cable souterrain des PTT est long. On doit le sectionner au burin et le détruire en le mettant sous tension électrique à 10 000 volts. Nous arrêtons un jeune cycliste rentrant de la fête à BAUME qu’il nous décrit sur notre demande. Ce bavard nous dit qu’il attendait d’être appelé pour rejoindre le maquis et nous donne des détails importants sur un sabotage qui pourrait se faire au-dessus du tunnel de LONOT. Ça nous fait rire intérieurement car nous savons que les copains s’en occupent justement cette nuit.

Il pensera sûrement que c’est grâce à ses tuyaux que le sabotage a été fait !… Il est minuit et un camarade vient me relever car je dois intervenir pour mettre le courant électrique HT dans le cable coupé. Je monte au pylône, ma mitraillette en bandoulière, mais dans ce mouvement, mon arme se décroche et tombe, le coup part heureusement sans atteindre personne. Jean BELLO a encore eu chaud comme avec la pince !

Avec la perche isolante, je mets le courant 10 000 volts pendant 2 mns et observe une légère lueur à l’amorçage de l’arc. Nous démontons l’installation de raccordement et après avoir regroupé personnel et matériel nous repartons par où nous sommes venus après avoir relaché notre prisonnier d’un soir en I’invitant à se taire sous peine de sanctions. Il déguerpit sans demander son reste.

Mardi 11 juillet 1944

Nous nous replions donc en direction de la route de la BRETENIÈRE que nous traversons. Nous reprenons en passant le matériel camouflé et arrivons à la ferme du CHAMP LAZARE vers 3h. Nous nous ravitaillons en lait et repartons vers la ferme de la PLAINE FIN sur AUTECHAUX tenue par le père et le frère de Joseph PAUTOT. Vers midi, Melle PAUTOT nous apprend que les boches sont furieux et demandent des volontaires pour la remise en état des lignes téléphoniques sabotées par nous dans la nuit. La radio annonce dans la journée l’exécution du traitre DEGRELLE par les patriotes belges. Après nous être bien restaurés toute la journée à la ferme de la Plaine Fin, nous en repartons ves 21h pour nous rapprocher de la voie ferrée que nous devons faire sauter. Les officiers nous quittent et nous gagnons le hameau de l’AIGLE où nous arrivons vers minuit pour nous abriter dans une grange où nous nous reposons jusqu’à 4h.

Mercredi 12 juillet 1944

Le temps est très pluvieux et nous ne quittons la grange que vers 5h30 avant le réveil des paysans de l’AIGLE. Nous descendons vers les 2 tunnels de la Grange Ravey. 4 camarades descendent vers la voie ferrée. Un train vient de BELFORT et ils placent les explosifs sur la voie avant de déguerpir. Nous sommes en train de nous replier quand une violente explosion déchire l’air et le train s’arrête. Nos 4 camarades nous rejoignent à bout de souffle. Jean BELLO nous raconte les faits.

Il se trouvait près de la baraque des garde-voies située entre les 2 tunnels avec Maurice LEGRAND quand ils ont entendu arriver le train. Ils étaient à moins de 100 m du train quand ils ont placé les charges et Jean a quitté les lieux alors que la loco était à 20 m de lui. Après une courte pause, nous reprenons notre mouvement de repli en direction de BOIS LA VILLE à travers les fourrés épais où j’arrive à me prendre dans un collet. Un avion ennemi nous survole nous obligeant à nous camoufler. Nous rencontrons 2 civils de la région d’AUDINCOURT qui ont dû descendre du train à HYEVRE PAROISSE par suite de la coupure de la voie. Peu après, nous nous séparons du groupe LEGRAND et redescendons vers la voie ferrée.

Nous restons en observation sur des rochers à environ 200 m du train immobilisé sur la voie. Vers 11h15, le train démarre, la voie est réparée. Nous avons quand même réussi une coupure de 3h15 de durée et espérons faire encore mieux la prochaine fois. Nous nous reposons dans ce fourré toute l’après-midi et nous quittons ces lieux vers 21h pour nous rapprocher du Doubs en passant par le souterrain franchissant la voie ferrée entre la Grange RAVEY et la ferme de la MAISON ROUGE. Jean BELLO va chercher un passeur à la Grange RAVEY. Il est 23h et la pluie est très violente. L’ascension est pénible. Nous arrivons à la ferme de M. Alfred JEANNOT vers minuit et nous nous y restaurons copieusement.

Jeudi 13 juillet 1944

Dès que nous sommes restaurés, nous repartons par la LAVENNE et GUILLON vers MONTIVERNAGE et la COMBE où nous arrivons au petit jour dans la grange de M. QUERY. Nous entendons alors la sirène de BAUME et le bruit sourd d’explosions. Vers 10h, nous avons la visite de Paul BRIOT et de Michel MAIROT qui désirent reprendre du service dans notre groupe en ayant assez d’être inactifs. Ils prennent leurs repas avec nous dans la grange. Dans l’après-midi, après avoir préparé un bouquet pour la fête d’Henri GAMET, ils nous quittent pour une liaison avec le PC derrière le cimetière de LANANS-SERVIN.

Vendredi 14 juillet 1944

Nos camarades sont rentrés de leur mission vers 4h et nous nous levons vers 9h30 pour casser la croûte.

A midi, nous sommes invités à table par M. QUERY en raison de la fête nationale. Vers 16h, une suspecte qui vend du petit matériel agricole est interrogée puis relâchée faute de preuves. La radio allemande annonce l’évacuation de MINSK. Après avoir soupé d’une délicieuse omelette aux champignons, nous regagnons vers minuit notre refuge du ROCHER DU POMMERET avec BRIOT et MAIROT qui partageront notre couche.31

Samedi 15 juillet 1944

Réveil à 9h par un beau soleil, après avoir déjeuné, MAIROT, CUENOT, PERNOT et ROGNON vont cueillir des cerises. Dans la matinée, Jean BELLO qui se trouve en observation à l’entrée de la grotte avec BRIOT voit arriver Louis PERNOT signalant un couple suspect dans les parages. Une poursuite est rapidement organisée, mais le couple nous échappe. Si les cueilleurs de cerises avaient été armés, cela ne se serait pas produit car ils sont passés à moins de 50 m des cerisiers. Vers 21h45, Jean BELLO se rend à la grotte de BLEFOND avec Louis PERNOT et Michel MAIROT pour y préparer du matériel à prendre plus tard. Nous portons dans le poste transformateur des VOIDEY nos sacs qui y seront plus en sûreté et ensuite certains vont au ravitaillement à PASSAVANT et à la COMBE. Je reste au cantonnement.

Dimanche 16 juillet 1944

Toutes les missions de ravitaillement ont été fructueuses et nous nous régalons de toutes ces victuailles.

A midi, nous mangeons chez LOIGET à la ferme des VOIDEY et j’en profite pour faire soigner des talures aux pieds puis je rejoins les copains à la caverne. Vers 19h, nous portons le reste des sacs dans le transformateur, puis nous nous rendons à la grotte de BLEFOND. Guidés par BRIOT, nous passerons par ADAM LES PASSAVANT. Au cour d’une pause, nous rencontrons un noctambule attardé qui nous prend tout d’abord pour l’équipe Maurice LEGRAND, puis pour des miliciens. C’est un réfractaire du STO et nous lui recommandons le silence. Il déguerpit et nous reprenons notre marche vers BLEFOND que nous atteignons à 1h du matin.

Lundi 17 juillet 1944

L’équipe Maurice LEGRAND est là également. Le matériel à transporter a été sorti de la grotte et descendu à la lisière du bois. Nous entreprenons le transport du matériel qu’il faut remonter vers les fermes DUFAY du BOIS RODOLPHE. Nous sommes une quizaine et ferons chacun 3 voyages chargés comme des mulets. Ce matériel est caché provisoirement et sera chargé le soir même pour être amené dans la grotte de MORNAGE. Nous passons la journée dans une ferme abandonnée placée sous la surveillance d’un polonais qui nous fait bon accueil. Une alerte aux avions est sonnée par la sirène de BAUME de 10h45 à 11h45. Vers 20h, nous sommes ravitaillés par des camarades qui nous apportent des frites et de la salade ce qui est très apprécié par tous. Vers 22h, un chariot arrive et en 1/2 heure tout le matériel est chargé. La voiture part escortée de camarades armés en vue de répondre à une attaque éventuelle. Le restant de la troupe dont je fais partie se dirige à travers bois par la ferme de la BOULOIE et celle du PETIT BOIS vers LA COMBE. M. CASSARD du BOIS RODOLPHE nous guide au départ et ne nous quitte que lorsqu’il est sûr que nous sommes bien orientés. Nous traversons la côte de PONT LES MOULINS vers 1h du matin.

Mardi 18 juillet 1944

Nous rencontrons alors Maurice LEGRAND et Albert LAURENT. Tout le monde est bien fatigué et nous rebroussons chemin pour passer le restant de la nuit à la ferme de LA BOULOIE qui est inhabitée. Nous repartons vers 5h pour la ferme du PETIT BOIS. Après une pause, nous arrivons à la ferme où toute la famille BONNET nous accueille gentiment avec un bon casse-croûte complet. Vers 10h, sous la conduite de BRIOT, nous gagnons un abri dans une remise située entre les fermes BONNET et BARDEY et y aménageons des couchettes en paille.

Vers 19h, nous quittons les lieux pour nous rendre par la ferme BARDEY vers celles du Mont de GUILLON.

M. PETIT, fermier nous reçoit gentiment. Son neveu, René JACQUIER de la Cote d’Or, accompagne Jean BELLO en direction de MONTIVERNAGE pour aller chercher Jean BILLEREY. Pendant son absence, M. PETIT nous raconte les aventures de ce neveu qui a quitté la Cote d’Or où il faisait partie d’un groupe de résistance et qui est recherché par la gestapo. Il y a quelques jours, la gestapo est venue à la ferme et l’officier qui le recherchait l’a interpellé lui demandant s’il connaissait un nommé René JACQUIER. Il a gardé son sang-froid et dit qu’il venait d’arriver à la ferme et ne connaissait personne de ce nom. Il n’a pas été inquiété, ce qui est vraiment formidable.32

Mercredi 19 juillet 1944

Jean BILLEREY nous a rejoint dans la nuit avec BELLO et JACQUIER qui nous conduit dans une remise isolée où nous arrivons vers 2h30. Nous sommes à une centaine de mètres de la ferme BARDEY et nous bénéficions de ce voisinage pour les repas que les fermiers nous font parvenir gentiment. Vers 19h, je me rends avec BRIOT, MAIROT et Louis PERNOT à la COMBE afin de ramener les paquetages entreposés dans le transformateur des VOIDEY. Cette corvée durera jusqu’à 3h.

Jeudi 20 juillet 1944

Après l’accomplissement de notre mission, nous nous reposons dans la grange de M. QUERY et, au réveil, nous aidons à décharger du foin. Après avoir mangé à la cuisine, nous regagnons la grange pour plus de sûreté. A 19h30, nous entendons à la radio l’annonce d’un attentat contre Hitler que nous apprenons avec joie à nos 4 camarades qui viennent d’arriver. Après 22h, BELLOT, BRIOT, MAIROT et BILLEREY se rendent en liaison au PC pour rendre compte de notre transport d’armes. BRIOT et MAIROT emportent leurs paquetages individuels car ils ne doivent pas revenir à notre groupe. Un individu suspect est signalé par Melles QUERY et après une patrouille de recherche infructueuse, nous nous couchons avec une garde renforcée.

Vendredi 21 juillet 1944

La nuit a été calme. Vers 5h, BELLO et BILLEREY rentrent de leur liaison et la garde est supprimée. A 5h30, je réussis à capter RADIO MOSCOU ; c’est Maurice THOREZ qui parle, je reprendrai l’écoute à 6h et à 7h pour entendre avec plaisir celui que marchands de canons et fauteurs de guerre ont tant sali. Dans la journée, nous participons aux travaux des champs et fêtons le soir la Ste Madeleine en famille.

Samedi 22 juillet 1944

Il nous faut quitter les lieux à la pointe du jour et nous prenons la direction de la ferme du PETIT BOIS en passant par les BICHETS. Pendant l’absence de Jean BELLO parti en mission, nous réorganisons notre campement dans la remise voisine de la ferme BARDEY et nous nous y reposons un peu. Nous mangeons à midi à la ferme BARDEY. A 18h, la mission BELLO revient. Ils devaient faire rebrousser chemin aux paysans livrant leurs bêtes au ravitaillement et sont contents car tout s’est bien passé et une quinzaine de bêtes sont rentrées dans les étables. Vers 22h, Jean BILLEREY retourne à MONTIVERNAGE pour affaire personnelle. Nous ne devions hélas plus le revoir !

Dimanche 23 juillet 1944

Après une bonne nuit de repos et une matinée sans histoire, la présence des boches est signalée à 11h à VAUDRIVILLERS et PASSAVANT MONTIVERNAGE. Suivant les indications des demoiselles BONNET, ils sont nombreux et font grand tapage. Aussitôt, nous pensons à Jean BILLEREY qui se trouve sans arme à MONTIVERNAGE. Apercevant la fumée d’un incendie direction de MONTIVERNAGE, nous opérons un repli en forêt pendant que Jean BELLO, accompagné de Gaston BILLOD-MOREL venu au renseignement part en reconnaissance. Vers 16h, ils sont de retour désolés. Nous apprenons ce qui s’est passé à MONTIVERNAGE. Attaque des allemands, meurtre de Jean BILLEREY et d’un soldat réfugié dans la ferme MULLER, incendie de la ferme et arrestation d’Emile MULLER, son frère Gaston, réfugié dans la machine à battre ayant été sortie de la grange par les Teutons et son père ayant réussi à s’échapper de la ferme par derrière sans être vu. Quelle catastrophe ! Toujours la même sauvagerie. Pour l’ensemble des opérations, les boches étaient au nombre de 100 environ. A 19h, ROGNON et JACQUIER nous rapportent une bonne soupe de chez PETIT et, vers 22h, nous nous couchons à la lisière du bois.

Lundi 24 juillet 1944

Il fait grand jour quand nous nous réveillons après une bonne nuit malgré le manque de confort.

Vers 9h, Jean BELLO va avec JACQUIER aux nouvelles. Ils rentrent à 11h en nous disant que les allemands me recherchaient hier ainsi que mon frère René et le Capitaine BESANCON. Nous sommes toujours ravitaillés correctement par la famille BONNET et nous restons sous bois sans incident si ce n’est le survol d’avions ennemis. Nous couchons encore au bois.

Mardi 25 juillet 1944

Rien à signaler. Cependant, la radio nous apprend qu’HITLER a décrété la mobilisation générale en Europe! Que STUPNAGEL, le «Bourreau de PARIS» a été grièvement blessé dans un attentat. Nous nous couchons vers 23h et entendons passer au-dessus de nous des forteresses volantes qui repasseront une heure plus tard après leur mission accomplie.

Mercredi 26 juillet 1944

Dans la journée, nettoyage des armes ce qui n’est pas un luxe. La radio nous apprend que KESSELRING a été blessé sur le front italien, que l’armée allemande a perdu un million d’hommes depuis un mois sur l’ensemble des fronts alors que DE GAULLE chiffre les pertes françaises depuis juin 1940 à 61 000 hommes. Une avance de 4 kms sur le front de Normandie est également annoncée. Par contre, nous apprenons aussi le crime des SS contre St GINGOLPH à la frontière franco-suisse. Les filles BONNET viennent passer la veillée près de nous et nous racontent les obsèques de Jean BILLEREY à CLERVAL devant plus de 1000 personnes de toute la région. Eglise décorée de drapeaux, char funèbre sous une montagne de fleurs. Elles nous disent aussi l’attitude regrettable de Paul BONFILS qui a refusé de transporter les Baumois, son personnel étant soi-disant en congé. M. Francis ROY n’en a heureusement pas fait autant. Vers 20h30, les camarades LARDET et BILLOD-MOREL viennent à la ferme du PETIT BOIS croyant nous y trouver. Un contact est établi avec Jean BELLO. Celui-ci revient en nous disant qu’ils viennent de lui signaler la présence d’un train de matériel arrêté en gare de LAISSEY.

Aussitôt, nous décidons de les suivre car il y a notamment des vélos sur ce train qui nous intéressent. LARDET nous dirige à pied alors que BELLO et BILLOD-MOREL sont partis en vélo et nous devons les retrouver chez BILLOD-MOREL. Après avoir évité le village d’ADAM LES PASSAVANT, nous traversons la route vers le cimetière de ST JUAN évitant de justesse la rencontre avec un side-car suivi d’un camion plein de boches. Nous arrivons à la ferme des BILLOD-MOREL juste à temps pour nous mettre à l’abri de la pluie car un orage vient d’éclater. Vers minuit, nous reprenons la route. Il faut nous dépêcher car nous entendons gronder un autre orage. La marche est très pénible dans l’obscurité totale et dans les bois que nous ne connaissons pas. Nous atteignons DAMMARTIN et nous mettons à l’abri pendant 1/2 h.

Jeudi 27 juillet 1944

L’orage s’étant calmé, nous repartons vers CHAMPLIVE que nous atteignons vers 3h. La pluie reprend à nouveau et nous nous abritons chez les parents de LARDET qui nous réconfortent et nous restaurent de leur mieux. Le jour approche et l’opération ne peut avoir lieu cette nuit. Comme nous avons une liaison prévue avec le PC pour ce soir à 22h, elle ne peut être remise à la nuit suivante. A 5h, nous quittons donc CHAMPLIVE et je m’abrite en passant sous le portail de la chapelle de DAMMARTIN. Les autres camarades iront se réfugier au Moulin de SEULT en attendant la nuit suivante pour opérer le prélèvement de matériel dans le train de LAISSEY. La pluie s’est arrêtée et nous reprenons le chemin de la ferme avec BELLO Nous arrivons chez BILLOD-MOREL à 6h et nous nous y séchons le mieux possible et nous nous restaurons avant de nous rendre dans une ferme abandonnée « La Breloque» où nous passerons la journée copieusement ravitaillés par Mme BILLOD-MOREL.

Nous quittons notre refuge vers 20h pour notre refuge de la ferme du PETIT BOIS où nous arrivons à 21h. Nous nous rendons à la COMBE où nous arrivons chez QUERY vers 22h. Ceux-ci sont très inquiets à la suite des évènements du dimanche 23 juillet et nous les quittons pour nous rendre vers le château d’eau de LANANS où est prévue la liaison avec le PC. Jean BELLO fait son rapport et reçoit un peu de ravitaillement.

Vendredi 28 juillet 1944

Vers 1h du matin, nous repartons en direction de la COMBE après avoir discuté avec Maurice LEGRAND qui est venu également en liaison. Nous parvenons vers 4h dans la grange de M. QUERY. Nous sommes réveillés par un bruit de camion et nous nous empressons de quitter notre refuge afin d’éviter des représailles. Nous regagnons la loge de la ferme BONNET où nous arrivons vers 7h. Nos camarades nous rejoignent presqu’aussitôt. Ils rentrent trempés jusqu’aux os et déçus car ils n’ont pas pu accomplir leur mission, le train ayant quitté LAISSEY avant leur arrivée sur place. Vers 15h, nouvelle alerte de camion. Il s’agit d’un marchand de bois qui vient charger du bois de chauffage à 200 m de la ferme côté ADAM. Nous mettons en place une garde de nuit et je veillerai de 4 à 6h. Pas d’incident.

Samedi 29 juillet 1944

Nous faisons sécher nos effets et rien ne se passera ce jour, sauf vers 19h, la venue du fils BONNET porteur d’un courrier émanant d’Etienne GRAVIER, Instituteur à BAUME qui demande une liaison avec nous. Albert ROGNON nous quitte pour aller lui rendre visite chez lui et rentrera le lendemain vers 1h.

Dimanche 30 juillet 1944

La nuit a été calme, mais nous avons assuré une garde de protection. A 14h, Jean BELLO se rend à BAUME suite à la liaison de la veille avec M. GRAVIER. Il est de retour à 17 h. La radio nous annonce la présence de I’ARMEE ROUGE aux portes de VARSOVIE et la prise de COUTANCES en Normandie ce qui nous remplit de joie. Nous avons la visite des demoiselles BONNET dans l’après-midi et, vers 21h, de Jules PETIT et René JACQUIER qui nous apprennent l’arrivée à BAUME de 200 soldats allemands qui doivent garder les voies de communication afin d’empêcher les sabotages. Cependant, depuis leur arrivée, il y a eu un sabotage par une équipe spécialisée au pont de BOIS LA VILLE.

Lundi 31 juillet 1944

Je pars à 9h30 avec Jean BELLO à un rendez-vous avec Marius SIRE. Nous discutons ensemble jusqu’à midi puis rentrons au cantonnement pour le repas. Vers 14h, nous repartons ensemble pour rencontrer Etienne GRAVIER qui arrive au lieu fixé vers 15h. Il s’agit de renseignements sur l’activité de certains suspects. Ces renseignements seront transmis au PC par nos soins. Nous rentrons pour souper vers 16h. Après le souper, Louis PERNOT et Albert ROGNON partent au ravitaillement à la COMBE. Ils seront de retour le 1er août vers 2h.

Mardi 1er août 1944

Nous décidons de changer de place jugeant que nous sommes là depuis trop longtemps et nous recherchons un autre lieu de stationnement en forêt. Notre ravitaillement sera assuré par la ferme BONNET qui nous le fera parvenir à heure fixe à un lieu convenu à mi-chemin entre la ferme et notre nouveau camp.

Après bien des hésitations, nous décidons de nous installer en bordure d’une clairière et, vers 20h, nous prenons notre premier repas dans notre nouvelle installation. Puis, je pars avec Jean BELLO en liaison avec le PC. Nous arrivons à LA COMBE vers 22h mais n’y restons pas le lieu étant trop repéré et nous irons coucher à VAUDRIVILLERS dans une remise située près de l’église où nous arrivons à 2h du matin.

Mercredi 2 août 1944

Cette remise s’avère peu accueillante : pas de paille et nous n’y dormons guère bien. Nous quittons ce lieu peu hospitalier pour la forêt voisine. Vers 19h, nous nous approchons de LANANS et nous nous camouflons en attendant l’heure du rendez-vous. A 23h, nous nous rendons au PC, recevons quelques consignes et du ravitaillement et repartons vers 1h.

Jeudi 3 août 1944

Très fatigués, nous nous couchons dans la prairie de VAUDRIVILLERS mais la fraicheur nous réveille vers 5h et nous allons à LA COMBE pour déjeuner. Nous poursuivons ensuite jusqu’à la loge de la ferme BONNET où nous arrivons vers 8h. Après un repos bien gagné, nous regagnons notre nouveau cantonnement pour le repas de midi ’après-midi, nous perfectionnons notre installation en forêt.

Vendredi 4 août 1944

Nous sommes débout à 6h30 et la radio nous apprend la prise de RENNES DINAN et le MONT ST MICHEL (100 kms parcourus en 24h). Nous poursuivons nos aménagements en veillant à ne pas dégarnir le bois à proximité. Cueillette de chanterelles. Après dîner, Jean BELLO va à un rendez-vous avec sa femme mais il ne la trouve pas et il se rendra le soir à BAUME pour la joindre.

Samedi 5 août 1944

Réveil à 6h30. Nous apprenons par la radio que des combats ont lieu à BREST et à QUIMPER, que les villes de VANNES, MAYENNE, VITRE ont été prises. En 7 jours, l’avance alliée a été de 720 kms. Cette avance foudroyante nous fait espérer une prochaine participation effective aux combats de notre part et nous réjouit. Nous continuons d’aménager notre château en bardant les murs de charbonnette. Albert ROGNON et René JACQUIER sont allés aider la famille BONNET à la moisson, le temps étant à l’orage. Nous nous couchons vers 22h.

Lundi 6 août 1944

Réveil à 7h et journée calme avec écoute radio et travaux d’aménagement du camp. René JACQUIER a fait une chute en cueillant des cerises et il devra se rendre à l’hôpital de BAUME pour se faire soigner. Il rentre au camp vers 22h. Ce n’est pas grave. Jean BELLO était rentré de BAUME à 17h.

Mardi 7 août 1944

Alors que les copains poursuivent l’aménagement de la maison, je pars en reconnaissance avec René JACQUIER et découvre un magnifique observatoire qui sera signalé dès notre retour à Jean BELLO qui, lui, le communiquera au PC à toutes fins utiles. Après le repas de midi, je me rends avec Jean BELLO et Emile CUENOT à la ferme de la BOULOYE pour y prélever des planches que nous cacherons provisoirement dans les haies en bordure de la RN 492 au-dessus de la côte de PONT LES MOULINS. Nous rentrons au camp vers 19h30. Je repars immédiatement à la corvée de soupe et, en cours de route, je rencontre Maurice LEGRAND accompagné de BONNET de MONT NOIROTTE venus en mission. Le contact est établi avec Jean BELLO et les ordres sont d’arrêter les convois de vaches réquisitionnées sur les routes de PONT LES MOULINS et de SILLEY. René JACQUIER rentre de l’hôpital où il est allé à nouveau se faire soigner.

Mercredi 8 août 1944

Nous partons en mission dès 5 h. Jean BELLO et Louis PERNOT se rendent au-dessus de la côte d’AUCROIX. Emile CUENOT, Albert ROGNON et moi-même allons au-dessus de la côte de PONT LES MOULINS.

Nous nous postons derrière une haie vers le café TROUTOT (aujourd’hui détruit) et attendons patiemment. Vers 9 h, apparait M. BOURRIOT Henri d’ADAM LES PASSAVANT conduisant une vache. Lorsqu’il arrive en face de nous, je me précipite sur la route le visage recouvert d’une cagoule et lui intime l’ordre de faire demi-tour ce qu’il fait après une courte explication accompagnée d’une manœuvre de la culasse intimidante. Ensuite, il y aura ainsi une dizaine de paysans qui se présenteront successivement et feront également demi-tour : CORNEILLE d’ADAM, BONNET du PETIT- BOIS, MONNIER JEANNEROT et DOTAL de PASSAVANT, PANIER et CHAPPE d’AISSEY, PERGAUD de ST JUAN (Château de Paille), etc…. Notre mission terminée, nous prenons les planches cachées la veille pour les ramener au camp. Nous sommes vus par deux paysans occupés à faucher un pré et avant de nous retirer, nous allons avec ROGNON, le visage recouvert de cagoules pour les sommer de ne rien dire de ce qu’ils ont pu voir sous peine de sanctions graves ; il s’agit d’un nommé VALY Fernand d’ADAM, son compagnon ne s’étant pas fait connaître. Cet incident réglé, nous rejoignons CUENOT et regagnons le camp où nous arrivons vers 10h. Nous continuons à aménager notre baraque en posant les planches sur le toit. Le soir, la radio annonce des combats à ANGERS, ST MALO et dans le secteur de VIRE, CAEN, AVRANCHES, la prise de la ville du MANS ainsi que la pendaison de plusieurs officiers généraux à la suite d’un attentat contre HITLER. René JACQUIER, rentrant de BAUME, où il est allé se faire soigner à l’hôpital nous dit qu’une voiture de la milice a été attaquée dans la région de CLERVAL et qu’une seule vache est arrivée à BAUME. Les camarades CUENOT et ROGNON sont au ravitaillement à la COMBE et je reste seul avec René JAQUIER au camp.

Jeudi 10 août 1944

Jean BELLO et Louis PERNOT rentrent à 7h de leur mission d’interception des vaches car ils se sont arrêtés chez des amis pour se restaurer. La journée se passe sans incident, notre baraque prend de l’allure.

Jean BELLO m’emmène avec lui pour une liaison. Nous atteignons la COMBE vers 20h30. M. QUERY nous annonce que les services du ravitaillement réclament d’urgence la livraison des bêtes et que, cette fois, elles ne seront pas arrêtées suivant les instructions du commandement pour éviter des représailles.

En passant à VAUDRIVILLERS, Jean va interroger le maire qui nous confirme ce qu’a dit M. QUERY au sujet des réquisitions. Nous arrivons au lieu habituel de rendez-vous derrière le cimetière de LANANS. Il est 23h30. Jean met l’officier au courant de notre mission et de ce que nous avons appris à la COMBE et à VAUTDRIVILLERS et nous recevons confirmation d’avoir à laisser passer les bêtes qui, d’après lui, seront arrêtées plus loin. Nous quittons l’officier vers minuit et nous dirigeons vers la ferme du FAHY où nous retrouvons les QUERY et quelques copains du maquis de SURFER planqués dans le secteur. C’est la Ste Suzanne et nous souhaitons la fête à Melle BERTIN. Nous passons ensemble une agréable soirée autour d’une table sympathique, repartons vers la COMBE avec les QUERY. Nous nous reposons quelques heures à la grange.

Vendredi 11 août 1944

Vers 6h30, un bruit de camion nous réveille et nous quittons précipitamment la grange de nos amis. Heureusement, c’est une fausse alerte et le camion roule vers VAUDRIVILLERS. Nous poursuivons notre chemin en direction de la ferme du PETIT BOIS où nous prenons rapidement un café au lait et rejoignons notre camp en forêt vers 8h30. Tout le monde dort encore. Je me rends avec René JACQUIER à l’observatoire que nous avons découvert il y a quelques jours, afin d’y observer les mouvements éventuels des vaches du ravitaillement, mais nous ne verrons rien. Vers 11h30, la sirène de BAUME retentit et nous entendons au- dessus de nous le bruit d’un combat aérien à haute altitude. Après la soupe, nous apprenons à la radio la libération de CHARTRES et de CHATEAUDIN et nous continuons à travailler à la baraque. Nouvelle alerte aux avions à 16h. A 20h30, Emile CUENOT et Jean BELLO se rendent en mission de renseignements à BAUME.

Samedi 12 août 1944

Réveil à 7h après une nuit calme. Nous apprenons le passage de la Loire à NANTES et l’armée alliée se trouve déjà à 16 kms au sud de la Loire. Nous aménageons des couchettes à l’intérieur de la baraque pendant que 2 copains vont aider à la moisson.

Dimanche 13 août 1944

Réveil à 7h. Pas de nouvelles à la radio par suite de la mobilité du front. Nous mangeons à la ferme BONNET et recevons la visite de Jacques MERY et Gaston BILLOD-MOREL qui nous quittent vers 19h non sans avoir admiré notre installation parfaitement camouflée. Après souper, je pars avec Louis PERNOT récupérer du fil téléphonique à proximité de la ferme de la BOULOYE et nous rentrons au camp vers 22h. Nous sommes à peine assoupis lorsque nous entendons des pas dans la forêt qui se rapprochent dangereusement. Mise en alerte immédiate et sommations adressées au noctambule. Nous le reconnaissons à temps. Il s’agit de Maurice LEGRAND. Il nous cherche depuis hier et il est très fatigué. Il nous communique l’ordre de rejoindre sans délai la ferme CHABOD à la LAVENNE pour être conduit par CHABOD au nouveau lieu de rassemblement du maquis. Nous décidons de nous préparer et d’attendre le retour de notre chef de groupe, Jean BELLO, en mission à BAUME. Nous apprenons l’arrestation de Jean CUENOT, le frère d’Emile qui s’était rendu imprudemment à la baignade de LONOT où la gestapo l’a arrêté. Nous étrennons nos couchettes fort appréciées et y dormons profondément.

Lundi 14 août 1944

Jean BELLO et Emile CUENOT rentrent à 7h de BAUME. Nous leur communiquons immédiatement les ordres communiqués par Maurice LEGRAND dans la nuit et Jean BELLO décide d’attendre le soir pour quitter les lieux. Ils sont tous deux très fatigués et encore sous le coup de l’émotion à la suite de l’arrestation de Jean CUENOT. Pendant qu’une corvée se rend à la COMBE chercher du pain et du vin, les autres vont à la ferme BONNET faire leurs adieux. Vers 11h, une alerte aux avions ; ce sont des bombardiers qui se rendent en Allemagne en plein jour. Après avoir fêté Marie-Thèrèse, une des filles de la maison, nous quittons la ferme et emmenons le jeune fils visiter notre baraque. Nous préparons nos paquetages et quittons à regret cette véritable maison que nous avons mis 15 jours à construire et où nous n’avons dormi qu’une seule nuit convenablement. Nous descendons par les bois jusqu’au Cusancin, vers l’hôtel des Bains de GUILLON et attendons la nuit pour traverser la vallée. Après quelques alertes dues à la présence de villageois dans le secteur, nous passons par les bois et parvenons à la LAVENNE vers 23h. Nous avons rencontré Albert LAURENT qui va chercher son paquetage pour rejoindre le nouveau maquis. Je vais planquer dans le transformateur divers objets dont nous n’avons pas besoin dans l’immédiat et nous suivons Jean BELLO jusqu’à la ferme CHABOD.

Mardi 15 août 1944

Vers 1h, sous la conduite de René CHABOD, nous quittons les lieux et, par une nuit sans lune mais sous un ciel étoilé, nous suivons le guide en direction de la forêt de BABRE. Il fait très chaud et l’ascension est pénible car nous sommes chargés. Une sentinelle nous arrête et l’agent de liaison ayant donné le mot de passe, nous pénétrons dans l’enceinte du nouveau camp. Pas de lumière et nous nous installons rapidement à l’aveuglette tandis que René CHABOD redescend vers VILLERS.

Mercredi 16 août 1944

Réveil à 7h30. Nous retrouvons un certain nombre de camarades de SURFER. Après le jus, je suis désigné à l’observatoire. Je prends position de 8h30 à 12h20 et j’y retournerai de 20 à 22h. Je pars ensuite en corvée de ravitaillement à la ferme de Louis CHABOD et en même temps je passerai au transformateur pour y prendre du plastic déposé la veille. La corvée rentre au camp à 23h30 et nous couchons au poste de garde. Du 16 au 22 août, rien de sensationnel ne se passe au camp et je ne consigne rien dans mon carnet de route.

Mardi 22 août 1944

Pour la seule journée du 22 août, il est passé environ 200 véhicules chargés de troupes sur la route de BELFORT. Pendant toute la soirée, on entend une violente canonnade en direction de l’ouest. A 21h, le groupe des gendarmes de BAUME part en corvée d’armes et de munitions. La radio annonce l’arrestation du Maréchal PETAIN par les Allemands. Coucher à 21h.

Mercredi 23 août 1944

Réveil à 6h. Retour des gendarmes de leur corvée d’armes. La radio annonce la libération de PARIS. Ordre de soulèvement général donné par le Général KOENIG. 50 000 FFI armés et 200 000 non armés prêtent main forte aux troupes régulières et à la police parisienne. Ils se battent pendant 4 jours. SENS est dépassé, GRENOBLE libéré. Au camp, le manque de vin se fait sentir et est remplacé par de l’eau à la distribution.

Les trains roulent à nouveau. Le ravitaillement arrive à 18h30. A 21h, départ du groupe des gendarmes BRIOT pour la prise des motos à la caseme de gendarmerie de BAUME. Ils seront de retour le lendemain vers 5h, après une expédition manquée. La radio annonce la libération de MARSEILLE par les FFI. Nous recevons un quart de vin supplémentaire pour la prise de PARIS.

Jeudi 24 août 1944

En rentrant de BAUME, un coup de feu part accidentellement. La radio annonce la capitulation de la Roumanie et l’attaque de la Hongrie. Alerte près du poste d’observation. A 21h, nouvelle expédition pour la prise des motos à BAUME. Un accrochage a lieu près du pont sur le Doubs et nous sommes obligés d’abandonner un des camions. Le repli se fait par CHAMPVANS, puis LUXIOL chez DORMOIS. Le premier camion a pu franchir le pont avec son chargement de motos. Nous resterons de ce côté du Doubs toute la journée du 25 août dans le secteur de LUXIOL et rejoindrons les bords du Doubs le soir. Nous avons appris dans la journée qu’une bagarre a éclaté sur la RN 73 au cours de laquelle l’allemand des services agricoles MULLER a été tué. Cette action avait été entreprise par un Groupe FTP et a provoqué la prise d’otages à SECHIN et leur exécution sommaire ainsi que l’incendie de 6 maisons de GROSBOIS. Nous arrivons vers 23h au bord du Doubs où nous retrouvons une équipe de camarades venus pour protéger notre traversée qui se passe sans histoires et nous sommes au camp le 26 août à minuit.

Dimanche 27 août 1944

La journée se passe au camp avec une vive critique de la manoeuvre d’enlèvement des motos qui aurait dû réussir plus complètement avec un peu plus d’attention et d’organisation. On observe dans la journée des incendies dans le village de SECHIN ; c’est la suite de l’opération effectuée par le groupe FTP sur la route nationale n° 73.

Lundi 28 août 1944

Réveil à 7h. Pluie d’orage. La radio annonce un attentat contre DE GAULLE à PARIS de la part des miliciens. Vers 14h, nous apprenons par le guetteur posté au belvédère en face la GRANGE RAVEY que la débâcle allemande encombre la RN depuis 10h par un flot continu de véhicules de toutes sortes et d’hommes à pied et à vélo.

Bien que l’on sente que c’est le commencement de la fin, il ne s’agit pas encore d’une armée en déroute et il y a encore un certain ordre dans ce repli. Cependant, on a plus l’impression de gens en voyage que d’une véritable armée en retraite. L’orage détrempe le sol dans le camp et il grêle fortement dans la soirée. Dans la nuit, essai d’émission et de réception avec poste radio avec le capitaine. Multiples incidents de fonctionnement, liaison en vélo avec le poste récepteur et retour au camp avec des recrues arrivant de BAUME. Dans cette nuit, Jean BELLO avait effectué une mission de sabotage par obus de la voie ferrée.

Mardi 29 août 1944

Réveil vers 6h30. De nouvelles recrues sont arrivées dans la nuit et nous annoncent que Paul COLIN a été fusillé soit disant pour port d’armes et nous confirment l’exécution des otages de SECHIN. Le repli des troupes allemandes se poursuit et ces crimes ponctuent leur retraite précipitée. Nous entendons 3 explosions sur la voie ferrée entre 2 et 4h et une nouvelle encore plus forte vers 10h avec réaction des boches qui se rendent sur les lieux en tirant de tous les côtés. A 10h30, une dernière explosion se produit en provoquant la même réaction des boches. A 13h, un train se dirigeant vers BELFORT est stoppé avant le lieu de sabotage. A 14h30, un deuxième train se dirigeant vers BELFORT et circulant à contre-voie arrive à hauteur du premier qui reste immobile. Après avoir stoppé un moment, il repart à faible vitesse alors que les soldats allemands juchés sur les wagons tirent en direction de la colline. Le premier train reste sur pIace. A 17h, nouvelle explosion. Voilà une mission de sabotage pleinement réussie. A 21h, diverses corvées de ravitaillement et de munitions ainsi qu’une corvée de sabotage quittent le camp. Elles rentreront dans la nuit après mission accomplie sauf en ce conceme les saboteurs qui ont dû se replier. Arrivée de nouvelles recrues dans la nuit.

Mercredi 30 août 1944

Vers 1h, violent orage avec pluie diluvienne. L’équipe Jean BELLO rentre au camp vers 6h avec une quinzaine de recrues. Après un jus, nettoyage du camp, revue d’armes et désignation des chefs de sections. Visite du colonel annoncée mais il ne viendra pas. La radio annonce la prise de SOISSONS. A 16h, alerte. Un espion est signalé. Recherches fructueuses, le suspect est arrêté et sera transféré à CLERVAL. Visite d’agents du ravitaillement. A 21h, diverses missions partent du camp dont l’équipe CORNUEL qui va récupérer des armes camouflées.

Jeudi 31 août 1944

Nouvel orage avec trombes d’eau inondant notre campement assez sommaire. On envisage repli vers un lieu mieux abrité. Je prends le commandement de l’équipe CLAIRGIRONNET (équipe des gendarmes). Un agent de liaison annonce le pillage par les Allemands des maisons PUGET et COURCOUX au Pont de BAUME. Le temps s’étant un peu édairci nous restons au camp.

Vendredi 1er septembre 1944

Un nouvel orage nous a mouillés jusqu’aux os et le jus de 8h est le bien venu. Nous apprenons l’incendie par les Allemands de la maison TROUTOT au-dessus de la côte de PONT les MOULINS. Une équipe a ramené un peu d’eau de vie qui nous réchauffe le coffre. La radio nous apprend la prise de ST DIZIER, SEDAN, VALENCE. On entend un bruit de fusillade de quelques minutes vers l’ouest. Ça sent le roussi ! Des prisonniers allemands sont convoyés au camp par une équipe désignée. Une importante corvée de 50 hommes part en transport d’armes. La garde est renforcée autour du camp et pour la garde des prisonniers.

Samedi 2 septembre 1944

Nouvel orage dans la nuit. Interrogatoire des prisonniers. A 20h un nouvel orage provoque une forte crue du DOUBS. Devant la pluie persistante, nous évacuons provisoirement avec armes et munitions en direction de la ferme du PUITS de la VELLE et nous nous installons dans une grange. Pendant le transfert les prisonniers marchent en tête de la colonne sous bonne garde. Nous sommes installés vers 22h et les officiers rentrent de mission avec 2 camionnettes vers 23h.

Dimanche 3 septembre 1944

Réveil à 5 heures, après un rassemblement de la compagnie, nous rentrons nous abriter car la pluie continue. Vers 8h30 nous réintégrons le camp. L’aumonier célèbre une messe au camp, ce que je trouve pour ma part assez mal venu, compte tenu de l’attitude générale du clergé sous l’occupation et pendant la période de 1936-1940 où nous étions couramment désignés par les «calotins» comme des «salopards en casquette». Repos au camp et remise en état du linge mouillé avec les moyens du bord. Vers 17h30 nous emmenons

5 prisonniers en corvée sous bonne escorte pour le nettoyage du camp et le transport de divers matériels. La radio annonce la prise de NAMUR. Vers 1h30 arrivent 2 russes en armes que nous amène Marcel NICOLAS depuis LONOT. A 21h rassemblement en vue du départ pour la ferme où nous passerons la nuit pendant qu’une mission de sabotage part avec 21 obus et 2 charges d’explosifs.

Lundi 4 septembre 1944

Vers 2h nous entendons une forte explosion en direction du Nord et nous entendrons une deuxième explosion vers 4h. Il s’agit de la mission de sabotage de la voie ferrée. On observe un incendie en direction de ROULANS ou POULIGNEY. La radio annonce la prise de BRUXELLES. Après une attaque allemande à 20kms au nord de BOURG, le JURA est entièrement libéré et occupé par I’ARMÉE FRANÇAISE. A 16h, nouvel interrogatoire des prisonniers. Des changements sont apportés dans la composition des équipes et je reçois le renfort de deux russes. Une corvée de munitions part à 2h alors que l’équipe Maurice LEGRAND part un nouveau sabotage de la voie ferrée. Vers 23h Joseph PAUTOT amène un Colonel Canadien parachuté vers le Capitaine BESANÇON. Celui-ci repartira après une heure d’entretien.

Mardi 5 Septembre 1944

Vers 2h une partie de la corvée de munitions rentre au camp. Vers 5h on entend les cloches sonner à toute volée en direction de PASSAVANT. Le Lieutenant GAMET alerté se rend à l’observatoire de BABRE avec PERIARD en reconnaissance. PERIARD rentre au camp vingt minutes après fou de joie accompagné de Marius SIRE nous annonçant la présence des troupes françaises au PIPES. Ce que nous entendions tout à l’heure c’étaient les cloches de PONT les MOULINS et PASSAVANT qui annonçaient la libération de ces villages. Le Capitaine BESANÇON est immédiatement informé et les ordres sont donnés de réveiller tout le monde et de se préparer en silence.

Notre joie est grande et à 7h30 nous descendons vers BAUME en laissant le minimum de garde au camp et aux prisonniers. On entend les bruits de la fusillade et quelques coups de canon. Gaby COQUARD reste au camp le cœur gros de nous voir partir. En descendant nous chantons la MARSEILLAISE et le CHANT DU DÉPART, le ciel s’est éclairci et le soleil paraît. Nous marchons en colonne par un jusqu’aux PIPES.

Les habitants font la haie et nous acclament. Les ouvriers ROPP distribuent des pipes à tout le monde sans oublier les soldats de l’armée régulière. Les Cités CHAMPARD sont atteintes alors que nous sommes en colonne par 3 et Ies acclamations reprennent. Les maisons sont pavoisées aux couleurs françaises, anglaises et américaines. Nous traversons le pont en nous remettant en colonne par un pour ne pas encombrer et en circulant rapidement nous arrivons au Rond-Point du monument JOUFFROY d’ABBANS. Toute la population nous acclame.

Marcel HOSATTE retrouve sa femme qui habite ce quartier. L’Adjudant-Chef REMY rassemble les chefs d’équipe pour transmettre les instructions. Nous devons faire une marche d’approche en colonne par un avec un intervalle de 10 mètres entre les groupes. Mon équipe s’arrête à l’entrée du parc de MI-COUR à proximité d’un char allemand immobilisé. D’autres équipes progressent en direction de BAUME.

Sur les ordres d’un officier français nous nous éloignons de l’épave du char qui explose presqu’aussitôt sans blesser personne grâce à ce repli. Nous nous impatientons et Louis MARGUIER essaye de joindre l’Adjudant REMY vers la Promenade du Breuil pour recevoir d’autres instructions.

Une voiture légère de l’armée s’arrête près du char fumant et un colonnel en descend. Il nous demande des renseignements et s’étonne de la faiblesse de notre équipement en armes.

Il pénètre dans la propriété de MI-COUR pour faire une reconnaissance. Entre temps MARGUIER est de retour. L’Adjudant ROUSSEAU doit prendre le commandement et nous amener en vue de l’attaque des boches cantonnés au RELAIS des P.T.T Ce que le colonel confirme à son retour. Nous gravissons les pentes en direction du Chateau Hugon où devrait se trouver des Allemands ce qui se révèle faux et arrivons en surplomb de la Route Nationale 73. Mon équipe prend position sur les roches en face de la maison GOUSSOT (aujourd’hui disparue) à côté du groupe de Paul MACHEREY. D’autres groupes sont installés de part et d’autre et le feu des armes légères fait rage. Je déclenche le tir de mon F.M. sur les ordres de l’Adjudant ROUSSEAU contre une lucarne du batiment des P.T.T. occupé par l’ennemi.

Les voltigeurs tirent de leur côté. Henri SIMPRIST de l’équipe CORNUEL est blessé à l’épaule à quelques pas de moi et il appelle à l’aide. Le poste de secours est alerté mais les brancardiers tardent et le blessé souffre beaucoup. Son frère est à ses côtés et après l’avoir accompagné jusqu’à l’ambulance vient reprendre sa place au combat. A ce moment on nous commande «CESSEZ LE FEU» car l’adjudant Jean BARBEROT est entré en contact avec la garnison des P.T.T en vue de sa reddition. Pendant cette trêve de quelques minutes j’aperçois un ennemi qui se faufile entre la maison GOUSSOT et le transformateur et je regrette de ne pouvoir tirer. Les boches ayant refusé de se rendre en bloc à l’exception de deux qui sont fait prisonniers, le combat reprend. Des grenades sont lancées par-dessus la Route Nationale par PERIARD RUFFEZ et le russe MICHEL. Il est 13 heures et nous recevons le ravitaillement repas froid pain et vin. Nous prenons ce repas par moitié afin d’éviter toute surprise et le combat se poursuit. Sur la voie ferrée un train de munitions a été stoppé à l’entrée de BAUME et a été pris sous le feu des pièces d’artillerie des Tunisiens. Les munitions sautent dans un grand vacarme.

Tout à coup un obus éclate à une cinquantaine de mètres de nous, blessant le camarade MONNIER de la REYDANS, son chef RENAUD donne l’ordre à son groupe de se replier légèrement et l’Adjudant ROUSSEAU interprète mal cet ordre ce qui crée une certaine confusion réprimée rapidement sur l’intervention énergique du sergent Eugène MOPIN. Chacun retourne à son poste de combat. Il est 14h30.

Vers 15h l’ordre de repli général est donné par l’Adjudant CASSAMANI qui n’a pas pu avoir de liaison avec le Capitaine BESANÇON mais juge la situation désespérée. Nous joignons l’équipe RENAUD qui évacue MONNIER grièvement blessé et arrivons devant la grotte artificielle située à proximité de la petite maison rose du Chateau HUGON (devant la maison actuelle du Docteur PFLIEGER). Nous nous retrouvons là une cinquantaine d’hommes en paquet ce qui me paraît très dangereux. CASSAMANI discute avec RUFFEZ venu en liaison depuis le P.C. Il faut franchir un espace découvert d’une cinquantaine de mètres pour gagner un petit bois de sapins. Une pluie d’obus arrive sur ce bosquet blessant à mort plusieurs camarades dont Louis PERNOT et le Chef de Gendarmerie CLAIRGIRONNET ce qui provoque une certaine panique et un groupe important quitte précipitamment les lieux en direction de COUR le transport des blessés n’étant pas assuré convenablement. Seuls quelques-uns dont Louis PERNOT et Albert LAURENT sont emportés dans des conditions difficiles. Je reste un des derniers avec l’Adjudant-Chef REMY, les gendarmes BEAUCHER BOURGON, PERIARD et le russe MICHEL notamment. MICHEL est légèrement blessé, mais le gendarme BOURGON est gravement atteint et on ne pourra pas l’évacuer.

Sur l’ordre de l’Adjudant-Chef REMY nous poursuivons notre progression en rampant. Je ferme la marche, chargé comme un baudet. Pierre DESGOUILLES m’ayant remis un sac de 800 balles de F.M. abandonné par un camarade. Nous arrivons à nous camoufler dans un épais fourré car il est impossible actuellement de regagner le DOUBS, l’ennemi étant présent partout en patrouille.

Nous sommes une bonne vingtaine au pied des rochers de croyot. Le silence le plus absolu est observé par tous. Nous essayons d’observer ce qui se passe à COUR et sur les bords du DOUBS ainsi que du côté de BRETIGNEY. Vers 19h les boches installent un poste d’observation juste au-dessus de nous et nous attendons la nuit avec impatience car la position devient intenable. Après avoir camouflé le maximum de notre matériel dans les fentes de rocher, une reconnaissance est faite par le Lieutenant HUMBERT, l’Adjudant-Chef REMY et PERIARD. A 21h nous rampons silencieusement hors de ce fourré. Nous passons près de la baraque de pâture du boucher DANCRE sous la protection du F.M. de ROGNON. Après avoir bu un peu d’eau dans l’abreuvoir de la pâture, nous nous dirigeons à travers prés et vergers en direction de l’ancien tennis (il n’y avait à cette époque aucune construction à NECCHIE). Nous observons alors la lueur des incendies allumés à BAUME.

Nous essayons de poursuivre notre chemin en direction de la Route de BELFORT mais nous devons revenir sur nos pas, un poste allemand interdisant la descente vers le DOUBS. Nous faisons provision de fruits en passant dans les vergers. Après avoir examiné la situation avec tous les membres du groupe, nous décidons la dispersion, certains désirant tenter leur chance individuellement et une douzaine souhaitant rester avec le lieutenant. Ce groupe, je l’apprendrai par la suite, rejoignit les bords de la rivière et se camoufla dans les rochers en face de LONOT. Au milieu de la nuit, trois volontaires : Paul MACHERY, Marcel RAVEY et le russe DIMITRI alias MICHEL traversent nus à la nage le DOUBS en forte crue et arrivant de l’autre côté décident Marcel NICOLAS lui-même F.F.I. et son cousin Eugène NICOLAS l’éclusier oncle de Louis NICOLAS à aller chercher les copains avec leurs deux barques.

Ensuite Eugène traversera à nouveau les 2 barques attachées et en laissera une amarée sur l’autre rive ce qui permettra à RUFFEY blessé et camouflé dans les roseaux de traverser la rivière seul plus tard dans la nuit. Toutes ces manoeuvres ont eu lieu dans le plus grand silence et aucune sentinelle allemande ne s’est manifestée. Nous apprendrons par un prisonnier allemand que lui-même étant en faction au-dessus des rochers cette nuit-là et ayant vu notre manoeuvre n’avait pas jugé bon de la signaler ni de tirer ce qui est fort possible et en tout cas aura été très heureux pour les rescapés.

Après s’être restaurés à LONOT et avoir pris un léger repos, tout le groupe a regagné le Camp de BABRE dans la matinée. Etant de ceux qui ont décidé de tenter seul leur chance, je me retrouve au matin du mercredi 6 septembre, dans le bois en bordure du sentier qui descend au DOUBS par la « Vallée de JOSAPHAT» quand je vois une patrouille qui passe tout près de moi. Je ne bouge pas, mettant en joue et visant le premier des boches afin de parer à toute éventualité. N’ayant rien vu du suspect dans le fourré, ils continuent en direction du village de COUR.

L’alerte a été chaude mais je commence à respirer plus librement. Les voici qui rebroussent chemin et passent à nouveau à mes pieds. Ils discutent fort. Tout à coup un boche se détache du groupe et remonte le sentier sur 2 ou 3 mètres. Il montre à ses copains le sentier qui escalade les rochers. Vont-ils poursuivre dans ma direction ? En ce cas je suis fait mais je me défendrai jusqu’au bout et j’épaule en conséquence. Finalement, ils renoncent et mâchent allègrement la paille. J’entends «BAGATELLES ! TOUS KAPUTT ! A ma grande satisfaction au bout de quelques minutes qui me semblent longues, ils s’éloignent définitivement et je les entends causer entre eux en manœuvrant la culasse de leurs fusils, cherchant visiblement à affoler les survivants qui se cacheraient dans les parages. Peine perdue car nous restons bien planqués et le reste de la journée du mercredi se passe sans autre alerte sérieuse.

La nuit arrive et je me décide à sortir de ma cachette en rampant vers la lisière du bois sans bruit. J’aperçois à quelques mètres une forme allongée et je reconnais le corps du gendarme BEAUCHET qui a été certainement abattu par les Boches depuis le dessus des rochers. Un autre corps quelques mètres plus loin… C’est celui du gendarme MAUVEAUX qui a subi le même sort. Mon intention est de me rendre à COUR par le COUDE en face de l’usine ROPP. Je longe le bois au bas des rochers pendant un certain temps puis je descends dans le pré. J’arrive à la première chicane dans les barbelés et aperçois un mortier allemand en travers. Je me décide à passer par-dessus cet engin et je progresse lentement dans le pré le fusil à la hanche. Je découvre à quelques mètres de moi 2 allemands casqués assis dans une excavation creusée par les crues.

Inutile d’insister, je dois me replier ce que je fais sans tarder à reculons en observant les deux teutons. J’arrive à repasser la chicane. J’ai encore eu bien chaud. Je remonte le long des berges avec précaution car il y a des allemands qui observent l’autre rive couchés au bord de la rivière. J’entends un char qui manoeuvre du côté de la route de BELFORT et de la Plage de LONOT. Je décide alors de repartir du côté de COUR en suivant les rochers par les vignes vers CROYOT. Je tombe à nouveau sur une sentinelle allemande qui se trouve à une dizaine de mètres de moi. Me revoici à nouveau aux aguets et prêt à tirer… Je repère un autre abri possible sur un rocher à quelques mètres derrière moi et je m’en approche en rampant. Zut ! un autre boche sur ce rocher. Je regarde du côté de COUR et en aperçois un autre, près de la rivière, une cigarette allumée me signale une autre sentinelle. Je suis bien cerné. Cependant je ne m’affole pas. La canonnade résonne dans toute la vallée et je suis sûr que les Teutons ne sont pas plus gaillards que moi dans tout ce vacarme. Je décide donc encore une fois de rebrousser chemin en direction des roches de BUEN et après un ramper laborieux, j’arrive à nouveau dans le pré et je suis le DOUBS tant bien que mal. Je m’allonge dans un repli de terre à proximité de la grotte de BUEN et j’observe à ce moment sur l’autre rive du DOUBS deux hommes debout.

Ce sont probablement des Français, mais je ne peux leur signaler ma présence car je suis entouré de sentinelles allemandes et je désire rester ignoré d’eux. Je tente encore de m’approcher de la rive dans un bouquet de roseaux en face du sentier que j’ai emprunté pour la descente. La position n’est pas trop inconfortable et avant la pointe du jour je regagne le fourré épais où je me trouvais la veille en traversant avec précaution le pré. J’ai encore une fois bien de la chance et peut regagner ma cachette. Dans le sentier des fusils à la crosse cassée m’indiquent que les Allemands sont passés par là. La pluie tombe et je décide de cacher mon arme et de gagner une petite grotte non loin de celle de sous BUEN. Ne m’y jugeant pas en sécurité, je quitte cette grotte, reprends mon arme et remonte le sentier où j’avais aperçu dans la nuit une ombre que j’avais cru être Marcel LECUYER. Le sol est détrempé par les pluies continuelles et l’ascension en est difficile. Arrivé au sommet je me dirige vers un rocher dominant, mais, entendant chuchoter, je m’approche et constate la présence de 3 ou 4 boches en observation.

Encore une fois, je suis piégé et repars en arrière dans le sentier. Je reprends le chemin du bouquet de sapins où les boches avaient surpris notre groupe, mais il y a aussi du bruit dans ce secteur et je m’arrête à nouveau. J’observe du côté du DOUBS et constate la présence des sentinelles de la nuit qui sont toujours à leurs postes. La situation n’est vraiment pas brillante, je suis trempé jusqu’aux os et rien à manger si ce n’est quelques pommes. La canonnade continue et c’est ce qui explique sans doute la passivité des postes allemands qui se contentent d’observer sans patrouiller. Je reste donc tapi dans mon coin. Plusieurs obus éclatent sur les rochers et on sent la poudre. Je décide de remonter au sommet des roches afin d’observer ce qui se passe à BAUME.

Je vois des nuages de fumée monter de partout, je pense que la canonnade va encore se poursuivre longtemps et je me décide à me débarrasser de tout ce que j’ai de compromettant sur moi, y compris les présentes notes, je mets le tout dans une de mes musettes que je camoufle ainsi que mon fusil dans un trou de rocher, je recouvre convenablement le tout de feuilles mortes et de brindilles arrachées aux buissons voisins. Je redescends dans la prairie du bord du DOUBS et me dirige alors d’un pas calme et naturel vers le village de COUR et en premier lieu vers la maison BERNASCONI. J’en fais le tour et suis interpellé par Pierre DESGOUILLES caché derrière un paquet de rames de haricots. Il me signale que les boches occupent COUR. Il voudrait que nous nous réfugiions dans la maison BERNASCONI. J’estime que c’est trop dangereux pour tout le monde et je lui conseille de faire comme moi et d’essayer de se débrouiller seul car à deux nous serions plus suspects aux ennemis. Je me dirige alors du côté de COUR et je me nourris de pruneaux tout en remplissant copieusement mes poches. La canonnade se poursuit et des obus tombent à chaque instant dans les vignes et vergers. Je reviens vers la maison BERNASCONI et je me camoufle un moment dans une baraque de jardin. Ne m’y sentant pas en sécurité je me dirige vers le cimetière de COUR et je me prépare à escalader le mur quand je suis assailli par deux boches en faction derrière ce mur. Inutile de reculer, je suis pris, tant pis, quitte ou double, ma décision est prise. Je m’approche d’eux les bras en l’air en criant CAMARADE.

Ils me demandent si je n’ai pas d’armes et me fouillent consciencieusement en m’invitant à mettre mes mains sur la tête ce qui est moins fatiguant. La fouille terminée ils m’amènent au poste de garde près de l’Eglise où je subis un interrogatoire. Que faites-vous ? D’où êtes-vous ? Je réponds imperturbable : je suis domestique de culture à BAUME LES DAMES et j’ai fui la nuit dernière devant le bombardement. Comme il a plu toute la nuit, je suis trempé et cherche à me rapprocher de BAUME. En passant près du cimetière de COUR une rafale d’obus rapprochée m’a affolé et je tentais de me mettre à l’abri derrière le mur quand les soldats allemands m’ont arrêté et amené devant vous. Bon, vous n’avez pas vu d’Américains ? Non. Pas de maquisards ? Non. Connaissez-vous quelqu’un au village ? Non bon, alors tâchez de trouver une grange pour vous coucher sur la paille pour vous reposer mais il vous est interdit de rentrer à BAUME. Vous pouvez parler… Inutile de dire que je n’ai pas insisté et leur donnant du grand salut avec mon béret, je leur dis : merci, Messieurs, au revoir Messieurs et pars tranquillement à la recherche d’un abri. Je m’arrête devant l’ancienne maison PARRATE (actuellement MULLER) aux placards municipaux et je fais semblant de lire pour me donner une contenance.

Mademoiselle BERNASCONI vient à côté de moi et tout en faisant aussi semblant de lire les annonces officielles me dit que je ne dois pas rester là car c’est trop dangereux mais que je dois descendre pour me réfugier dans une cave voisine dans la rue Damotte actuelle. Je me planque dans une entrée de cave et me laisse passer par là pour me rendre dans une remise vers le chemin du bas non sans avoir demandé qui j’étais. Mesdemoiselles BERNASCONI et PAUTHIER font le guet pendant que je m’introduis dans la maison où le propriétaire me donne 2 œufs et un morceau de pain. Puis sous sa surveillance je me rends dans la remise de M. TAILLARD qui, prévenu par Mademoiselle BERNASCONI vient me voir en me demandant ce dont j’ai besoin. Comme je lui dis n’avoir besoin de rien, il me conseille de rester tranquille car il y a un poste d’allemands à un vingtaine de mètres. Etant donné ce que j’ai vu, la recommandation est bien inutile. Je suis ravitaillé et me tient tranquille dans cet abri apprécié. La canonnade se poursuit inlassablement.

Vendredi 8 septembre 1944

Au matin Monsieur TAILLARD m’apporte au mépris du danger certain, un bol de café au lait bien chaud avec un gros casse-croute ce qui m’est précieux. A midi, il m’apporte la soupe en faisant semblant de venir soigner ses bêtes à la remise et renouvelle son geste le soir. Enfin voici la nuit. Les boches continuent à faire les cent pas. La canonnade redouble d’intensité. Ne me sentant pas en sécurité car les éclats tombent sur la toiture de la remise, je vais m’abriter derrière un mur de soutènement près des écuries de Monsieur TAILLARD. J’arrive à m’y endormir car je suis rompu de fatigue. L’arrêt de la canonnade me réveille.

Samedi 9 septembre 1944

J’entends des cris accompagnés de violents coups dans les portes avec bruit de vitres cassées. Je crois que ce sont les boches qui se livrent au pillage quant à une question. Qu’y a-t-il ? Il est répondu

« SOLDAT AMÉRICAINS !» N’y croyant pas, je m’empresse de réintégrer ma cachette soupçonnant les boches de nous tendre un piège. Mais j’entends Monsieur TAILLARD qui m’appelle depuis la maison en me disant VENEZ VITE, LES AMÉRICAINS SONT LÀ ! Effectivement, il n’y a plus de BOCHES et BAUME est également libérée. Inutile de dire ma joie. Nous rentrons ensemble à la maison et buvons une bonne goutte avec les AMÉRICAINS.

Nous sortons tous les deux dans la rue pour voir ce qui s’y passe. Il est 3h du matin. Un soldat américain passe accompagné d’un habitant de COUR qui le conduit au P.C. près de l’église.

Je m’offre à remplacer le civil pour accompagner le soldat, mais en arrivant au début de la rue de l’Eglise, le poste de garde m’interdit de poursuivre mon chemin, ne laissant passer que le soldat américain. J’en suis un peu ulcéré et reviens vers la maison qui m’avait permis de gagner mon abri. Madame GAUTHIER est bien contente de me revoir et m’offre un bon café copieusement arrosé de gnole. Mais je m’impatiente et je quitte ces amis en les remerciant et me dirige prudemment vers BAUME où on voit encore des incendies.

J’arrive ainsi vers le Pensionnat MI-COUR et je distingue à une vingtaine de mètres un barrage établi en travers de la route. Je n’ose pas avancer plus loin craignant une embuscade toujours possible malgré les apparences puisqu’une voiture américaine avait franchi ce barrage. Je reviens jusqu’au Rond-Point JOUFFROY puis je fais de nouveau demi-tour et m’enhardissant je franchis le barrage et arrive sans encombre à la Place Chamars.

Je vois alors passer dans un vacarme épouvantable d’énormes mastodontes sur lesquels sont accrochés des soldats coloniaux qui vont en direction de BELFORT. J’ai donc confirmation que BAUME est bien libérée et que les combats ont cessé dans la Ville. On voit sur la ville des lueurs d’incendie. J’aperçois au bas de Chamars un civil et me dirige vers lui.

C’est le père RAVEY. Quelle émotion ! Où sont les autres ? Je lui explique que je me suis trouvé isolé depuis le mardi soir et que je suis seul ignorant ce qu’ils sont devenus. Il m’emmène chez lui place de I’ABBAYE et je descends à la cave déjà pleine de réfugiés. Je suis en train de casser la croûte quand j’entends un appel : on demande des F.F.I. pour se mettre à la disposition d’un officier américain qui se trouve près de l’église.

Arrivé devant l’église je retrouve Emile EHRET avec 2 civils qui attendent le retour de ce commandant américain. Je profite de ce contretemps pour me rendre à mon domicile Rue des Juifs afin d’examiner les dégâts. J’ai le minimum : tuiles, vitres, cheminées, détériorées par le bombardement. Je remonte vers l’église, pas de commandant. On me dit qu’il est parti vers la Rue d’Anroz et je m’y rends rapidement. Je rencontre TERRIER qui me dit savoir où trouver des armes.

Nous allons les chercher ensemble dans une cave de la Basse-Cour où les habitants et notamment Madame BELLO nous demandent des nouvelles du groupe. Je les tranquillise de mon mieux en leur disant que le groupe ne va pas tarder à arriver à BAUME, mais que j’ai été moi-même isolé depuis mardi soir et suis sans nouvelles. Je pars donc avec TERRIER. Nous sommes armés chacun d’un fusil et en passant près de la boucherie DANCRE nous sommes photographiés par M. HENRIET père.

Je pars en direction de LONOT car on signale des boches cachés où nous étions nous-mêmes mardi.

Au-dessus de la rue d’Anroz je rencontre Emile BREG qui m’annonce la présence dans le jardin VERMORET des corps de camarades fusillés. Je m’y rends immédiatement. Le spectacle est horrible ; les cadavres sont méconnaissables. Ils ont été criblés de balles par leurs assassins nazis. Ce sont PERIARD, Claude CHARRIERE, Camille LAURENT, Michel MAIROT, Jean GRAMMONT et Félix RENAUD.

Leurs cadavres crient vengeance. Plusieurs personnes m’arrêtent et me signalent la présence de boches camouflés en divers endroits. Tout le monde voudrait commander, mais personne ne désire passer vraiment à l’action. De guerre lasse et un peu écoeuré de la conduite de certains, je vais boire un coup au café BOILLOT où je suis accueilli à bras ouverts.

De là, je pars avec Léon BOILLOT faire une reconnaissance du côté du Chateau HUGON où le spectacle est tout aussi désolant que dans le jardin VERMORET et nous redescendons bien attristés pour retrouver le groupe qui arrive à son tour à BAUME. Après des retrouvailles émouvantes, je rentre dans les rangs et continue à participer aux opérations de nettoyage avec les camarades du groupe. La libération est effective mais à quel prix l’avons-nous payée.

Maurice HUMBERT

Ce texte et ces images sont extraits du Livret d’Histoires & de Mémoires 1944 – 2024 édité pour les 80 ans de la libération de Baume les Dames. Vous pouvez en retrouver une copie imprimée à la Médiathèque Jean Grosjean ou bien une copie numérique en suivant le lien ci-dessous