Ce document contient le témoignage de Alexandre et Yvette Sevoz, arrivés à Baume les Dames en octobre 1943. Ils y font le récit de l’occupation, du traitement des Baumois et de leur ville par l’occupant allemand puis la débâcle de ces derniers.
Retranscription
Arrivés à BAUME-les-DAMES en octobre 1943, nous avons été témoins de la débâcle Allemande et des combats de la libération.
Dès notre arrivée nous avons appris que plusieurs baumois avaient été arrêtés par les Allemands et emprisonnés à Besançon et certains d’entre eux déportés en Allemagne.
Fin août 1944, arrivaient des russes que les allemands promenaient en disant aux français « voici vos alliés ». Il s’agissait de demi-sauvages, incultes et n’ayant d’autres moyens de subsistance que le pillage. Ils circulaient à cheval et à l’aide de voitures hippomobiles souvent en osier tressé. À l’étonnement des baumois, ils se baignaient nus sur leurs chevaux et se procuraient des poissons en lardant des grenades dans la rivière. Ils n’avaient jamais vu de bicyclettes et s’étonnaient que les éclairages de celles-ci ne puissent allumer leurs cigarettes. Les bridons des chevaux étaient faits de lanières de cuir noir non cousues mais nouées et quelquefois enjolivées de petits coquillages du genre porcelaine. Ils ont pillé le magasin de M. FLEUROT sellier bourrelier pour y prendre tous les ornements et boucles de cuivre.
Puis commença le reflux des soldats allemands.
Logeant au rez-de-chaussée sur la route venant de BESANCON, nous étions aux premières loges pour apprécier la débâcle allemande qui était pire que celle des français en 1940. Commençait le reflux de soldats cherchant à fuir les combats. Des participants au pèlerinage à N.D. d’aigremont (Roulans), partis à bicyclette furent contraints de céder leur véhicule aux fuyards.
Puis des troupes françaises (tirailleurs tunisiens) qui avaient franchi le Doubs, ayant réussi à détruire avec un petit canon de campagne un train comprenant des wagons de munitions et des wagons de transport de troupe (contrairement à l’habitude) empêchaient toute circulation ferroviaire. Les wagons étaient soudés aux rails. Les convois suivants ne pouvaient poursuivre leur route. Le matériel qu’ils contenaient fut déchargé et acheminé par la route, dont des chars tigres impressionnants par leur taille (la chenille atteignait presque le balcon du premier étage) et leur puissance. Ils servirent de batterie volante pour répondre aux tirs alliés.
N’ayant pas de cave dans notre maison, nous nous sommes réfugiés dans celle de nos voisines, les dames HAAS, dont la cave communiquait avec celle de la maison mitoyenne appartenant à la famille NACHIN. Après une nuit ponctuée d’éclatements, on s’aperçut que la toiture était en flammes. Des soldats allemands installés dans la maison s’opposant à ce que nous traversions la rue pour nous réfugier à l’hôpital, c’est par l’arrière de celle-ci et en brisant à coups de hache la porte du bâtiment voisin, que nous avons réussi à nous échapper, en franchissant des murs de jardin, et atteindre la rue de la gare.
Arrivés au magasin de la coopérative agricole, connaissant l’existence d’une dalle de ciment armé, pour y chercher refuge. Un grand nombre de personnes s’y trouvant déjà, il nous fut proposé de traverser la propriété pour rejoindre la rue des Juifs. Arrivés là, mon mari héla un militaire dont nous ignorions la nationalité, il portait un casque camouflé, une toile de tente sur le dos, d’où émergeait une mitraillette, et lui précisa qu’avec un groupe de femmes, vieillards et enfants nous cherchions le local de la Croix Rouge. Il fallait empêcher qu’il nous prenne pour cible. Il nous laissa passer. Nous nous sommes dirigés vers l’église et la rue des Granges. Une première cave nous accueillit mais elle était déjà si remplie que nous ne pouvions y demeurer. Dans une autre, ce fut pareil. En passant devant la boucherie GAULARD, ce dernier montra à mon mari, qui était vétérinaire inspecteur des viandes à l’abattoir communal, comment il avait disposé la viande dans son magasin, le manque d’électricité rendant les chambres froides inutilisables. Mon mari l’assura qu’il avait bien agi. Il nous proposa alors de manger, ce que nous avons accepté avec plaisir.
Après l’avoir quitté, nous avons cherché abri dans la cave de la maison à tourelle contiguë au café PAGE, il nous fut répondu que l’on ne pouvait nous garder et nous avons repris notre errance. C’est dans la cave des Sœurs de NEUCHATEL que nous avons échoué.
Mon mari étant sorti pour se rendre compte de ce qui se passait au dehors, rencontra notre ami Paul BOILLON quincaillier rue des Lombards qui nous invita à venir dans sa cave, ce que nous fîmes. Ce commerçant était aussi droguiste et une personne réfugiée chez lui, dans un mouvement maladroit, renversa une bombonne de grésil qui se brisa et rendit l’air irrespirable. Il fallait à nouveau chercher un autre refuge. Constatant au dehors que des incendies se déclaraient de tous côtés, il fut décidé de sortir de la ville et nous nous sommes dirigés vers le tunnel du chemin de fer en direction de Belfort. En passant devant la maison à tourelle (devant l’Eglise) nous avons été témoins de son embrasement.
Une centaine de personnes se trouvait déjà dans le tunnel. Nous y avons passé le reste de la nuit, la journée du lendemain et la nuit suivante. Au matin, nous apprenions que la ville était libérée et nous sortions sales, épuisés, marchant dans 30 cm de tuiles, vitres fils électriques et débris de toutes sortes. Nous avions tout perdu ….. mais nous étions en vie.